METZ
Nommée à la direction du Centre Pompidou-Metz juste avant la pandémie, Chiara Parisi a dû faire face à une situation inédite. Peu prolixe sur la gestion des lieux et sa relation avec le grand frère parisien, elle préfère parler de ses projets culturels.
Metz. Il y a plus de deux ans, elle répondait à l’appel à candidatures du Centre Pompidou-Metz, animée d’une détermination et d’une fougue qui lui ont valu d’être nommée à la tête d’un établissement où elle n’était pas vraiment attendue. Brutalement débarquée, en 2016, de son poste précédent à la direction des programmes culturels de la Monnaie de Paris, Chiara Parisi, un temps disparue des radars, s’offrait ainsi une belle revanche. Mais son parcours allait être semé d’embûches : elle est entrée en fonction à Metz en décembre 2019, soit peu de temps avant que ne déferle la pandémie de Covid-19 avec son cortège de contraintes et d’empêchements. « Ça a été une période chargée émotionnellement », reconnaît-elle aujourd’hui. La crise sanitaire a entraîné la fermeture du Centre pendant plusieurs mois ; la fréquentation, à la baisse, s’en ressent toujours aujourd’hui. « Moins de recettes, moins de mécénat », résume-t-elle. Récemment, la disparition de l’artiste et poétesse Etel Adnan, à laquelle elle avait offert de réaliser l’exposition qui lui tenait tant à cœur, sur le thème de l’écriture, est venue ajouter la tristesse à la difficulté.
Testée positive au Covid il y a plus d’une semaine, Chiara Parisi revient tout juste à son bureau. Tailleur-pantalon noir, pieds nus dans ses espadrilles à talons compensés, elle ne laisse rien paraître de sa fatigue, et c’est de la vôtre, après ce court voyage en train depuis Paris, qu’elle s’inquiète d’abord avec une chaleur et une volubilité très méridionale. Elle le rappelle volontiers elle-même : « Je suis Romaine. » Plus qu’un ancrage géographique, elle doit à la cité italienne un éveil à la création. C’est dans le contexte encore bouillonnant des années 1990 qu’elle y a d’abord fréquenté les « maîtres » de l’Arte povera et de la Transavanguardia : Jannis Kounellis, Alighiero Boetti, Marisa et Mario Merz vivaient et travaillaient à Rome. Ils y avaient leur café préféré, leur restaurant. Gerhard Richter venait aussi. Sa passion pour l’art contemporain est née là, avant de s’épanouir dans le cadre idyllique de la Villa Médicis, à l’époque où son directeur Bruno Racine recevait Daniel Buren, Christian Boltanski ou Maurizio Cattelan. Chiara Parisi conserve toujours des liens avec la Villa ; elle y revient, régulièrement, pour des visites d’ateliers.
Des pesanteurs de l’établissement public messin, où elle dirige pour la première fois une centaine de personnes, elle ne veut pas parler, préférant mettre l’accent – chantant, forcément – sur les ressources mises à sa disposition, cette « richesse éblouissante des musées ». Pour la première très belle exposition de sa programmation, une mise en regard originale de Giuseppe Arcimboldo avec des artistes modernes et contemporains, elle a obtenu des chefs-d’œuvre signés Pablo Picasso, Francis Bacon, Ed Ruscha, sortis des réserves. Cet accès à la collection du Musée national d’art moderne, « c’est un bonheur », assure-t-elle, d’autant qu’il se double du conseil avisé des conservateurs du Centre qu’elle peut consulter sur des périodes ou des sujets précis. Il faut toutefois pour cela respecter la procédure, l’organisation. Cet aspect protocolaire n’est sans doute pas le meilleur côté de cette « merveilleuse machine », mais elle ne fera aucun commentaire à ce sujet.
Avec un enthousiasme communicatif, elle fait admirer les deux grandes maquettes des espaces d’exposition réalisées en interne, deux meubles hauts sur pieds qui lui permettent d’ajuster les scénographies à partir de minuscules reproductions placées sur les cimaises miniatures. « On peut le faire sur ordinateur, mais je préfère procéder ainsi. J’ai un rapport physique aux choses. J’aime cette architecture de Shigeru Ban, j’aime être sur le terrain », assure-t-elle. Et dans l’action.
« Elle propage autour d’elle une intensité grâce à laquelle elle parvient à repousser les limites d’un projet », raconte Charles Carmignac, qui a fait appel à elle en tant que commissaire d’exposition pour la deuxième année d’ouverture de la Villa Carmignac. « Mon père la connaissait, et j’avais pu apprécier son travail, notamment lors de la Nuit Blanche dont elle avait assuré la direction artistique – avec Julie Pellegrin en 2013. J’ai été très admiratif de la façon dont elle consulte en permanence les artistes pour les associer à sa vision. »
A-t-elle perdu, à ce poste, cette proximité avec les créateurs qui la fait vibrer ? Le Centre lui permet toujours, bien sûr, d’inviter les artistes : Annette Messager a investi le Forum l’automne dernier. Au printemps, Thomas Houseago réalisera une fresque in situ dans les galeries en terrasse. Mais une partie de la programmation reste consacrée aux Modernes : en juin, celle-ci mettra en lumière Eva Aeppli (1925-2015), tandis que Chiara Parisi prépare les rétrospectives de Suzanne Valadon (1865-1938) et d’André Masson (1896-1987), découvert à l’occasion de sa thèse de doctorat. Quant aux expositions thématiques (« Les portes du possible. Art & science-fiction », en novembre prochain), si elles ont pour vocation d’attirer le plus large public possible, leur probabilité d’y parvenir relève du mystère. Depuis sa réouverture le 19 mai 2021, et après « un très bel été », le Centre, qui a enregistré plus de 165 000 visiteurs en sept mois, peine à retrouver un niveau de fréquentation d’avant Covid-19. Les subventions de la Métropole, de la Région et du département demeurent stables depuis dix ans. Ce qui, avec l’inflation, signifie que ce financement a diminué. De nouveaux mécènes seraient les bienvenus, sans pour autant envisager des passerelles comparables à celles que le grand frère parisien construit, par exemple, avec la Pinault Collection. Elle a visité la veille l’exposition Charles Ray, « magnifique ! » avec Thomas Houseago, justement, venu accompagné de son ami Brad Pitt, en guest star. Ensemble, ils ont passé une partie de la journée dans les collections du Centre Pompidou. « Brad a un œil d’historien de l’art », assure-t-elle.
Si la crise sanitaire a perturbé son début de mandat quinquennal, la directrice des lieux n’a pas renoncé à ses projets de cœur. Son dossier de candidature comportait notamment « deux extensions ». La première, maritime, consiste à accompagner le projet d’un bateau pour les migrants défendu par Sébastien Thiéry, coordinateur du Pôle d’exploration des ressources urbaines (Perou), au carrefour de l’engagement politique et du dessein architectural. « La maquette existe, c’est concret », se félicite-t-elle. Mais elle voudrait aussi ouvrir une école attenante au Centre. Elle indique par la fenêtre son emplacement hypothétique, qui a inspiré une esquisse à Shigeru Ban. Ce « rêve » s’inscrit déjà au cœur du musée, puisque l’exposition « L’art d’apprendre. Une école des créateurs », ouverte le 5 février, accueille trois jours par semaine une classe expérimentale en partenariat avec l’Éducation nationale. En attendant de donner plus d’ampleur à ses ambitions pédagogiques, Chiara Parisi est sur un autre front : le restaurant du Centre, qu’elle souhaite renouveler avec un mobilier dessiné par Shigeru Ban et un nouveau chef. « Quelque chose de très simple », promet-elle.
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Chiara Parisi, le goût du risque
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Chiara Parisi, le goût du risque