LE CATEAU-CAMBRESIS - Henri Edmond Cross est né en 1856 à Douai, à une cinquantaine de kilomètres du Cateau-Cambresis (Nord), ville natale de Matisse. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle Dominique Szymusiak, la directrice des lieux, a voulu reprendre l’exposition « Cross » organisée l’hiver dernier par le Musée Marmottan à Paris.
Les deux peintres se sont connus, appréciés et se sont influencés réciproquement. Esquissée à Marmottan, la relation Matisse-Cross est développée au Cateau dans un parcours très didactique et aéré.
Lorsque Matisse rencontre Cross pour la première fois à l’été 1904 lors de son séjour à Saint-Tropez, il connaît déjà les tableaux de son aîné, et le divisionnisme en général. Comme de nombreux peintres du Nord qui découvrent la lumière du sud de la France, c’est au cours d’un séjour en Corse en 1898 qu’il commence à se libérer du bitume et du travail en atelier. Il a également lu les théories de Signac sur le contraste des couleurs, un Signac devenu chef de file des néo-impressionnistes depuis la mort de Seurat en 1891. Il visite régulièrement le Salon des indépendants où exposent les pointillistes. À Saint-Tropez en 1904, il voit Signac tous les jours et plus rarement Cross, ce qu’il déplore un peu. C’est peut-être ce dernier qui lui apprend à préparer sa toile avec un fond blanc, afin que le tableau soit plus lumineux. Ce séjour tropézien l’a converti à la touche séparée : ce sera Luxe, Calme et Volupté, toile exposée aux Indépendants de 1905.
Peintre de la tranquillité
En 1904, Cross a 48 ans. Sa conversion au divisionnisme date du milieu des années 1880. En 1884 il participe à la création du Salon des indépendants, refuge des refusés ou des contestataires du salon officiel. Il y expose Monaco (Musée de la Chartreuse, Douai), une grande toile représentant un jardin de roses, qui ouvre le parcours du Cateau. De facture honnête et très dessinée, elle illustre ce qui intéressera l’artiste durant toute sa carrière : la nature, l’ombre et la lumière. Seurat, qui travaille alors sur Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte (Art Institute of Chicago, non présentée), et Signac exposent aussi aux Indépendants. Cross se lie d’amitié avec eux et adopte quelque temps plus tard le pointillisme, qu’il applique avec la foi du converti. En 1891, il s’installe définitivement dans le Var à Saint-Clair pour soigner des rhumatismes chroniques. Ses paysages, à l’instar de La Ferme, soir (1893, coll. part.), se couvrent d’un voile laiteux très peu méditerranéen, obtenu en ajoutant du blanc dans ses couleurs. La formule, dans l’esprit de la recherche d’une Arcadie, doit le lasser car, en 1895, tout en conservant des fonds blancs, il abandonne cet effet et surtout allonge sa touche. Les scènes révèlent alors plus de vie, les couleurs de la vigueur. Un curieux tableau, La Joyeuse Baignade (1899-1902, coll. part.), montrant trois baigneuses – à moins que ce ne soit une seule baigneuse à trois moments différents – occupant tout l’espace, est l’exception qui confirme la règle. Cross est d’abord un peintre de la tranquillité. Il ne sait pas ou ne veut pas rendre le mouvement. Selon Patrice Deparpe, conservateur au Cateau, ce tableau pourrait être un essai sur la décomposition du mouvement, à la suite des travaux d’Étienne-Jules Marey. Cette œuvre mise à part, les paysages de Cross sont agréables à regarder et l’on prend plaisir à admirer leur sens de la composition, la maîtrise de la technique divisionniste et la profusion des couleurs. Les sympathies du peintre pour le courant symboliste mâtiné d’anarchisme confèrent à ses toiles quiétude et sérénité. Laborieuse, la technique divisionniste freine toute spontanéité. Et lorsque Cross se libère de ce carcan comme dans ses aquarelles, nombreuses dans l’exposition (plus d’une trentaine), il produit une œuvre fraîche et joyeuse. Une vue de la Salute (1903, coll. part.) qu’il réalise au cours d’un rapide séjour à Venise en témoigne.
Matisse, lui, a très vite abandonné le pointillisme. Son séjour à Collioure avec Derain l’entraîne sur la voie de l’exaltation de la couleur culminant dans les tableaux fauves de 1905. Cross n’y est pas insensible, comme en témoigne une série de petits nus féminins en plein soleil réalisés en 1906 et 1907. Les chairs humaines prennent des tons verts et orangés non mimétiques. En revanche, il est désorienté par le Matisse du Bonheur de vivre et le lui écrit : « Excusez ma sincère amitié mais je ne comprends pas du tout votre tableau. » Sa santé fragile ne lui permettra pas d’explorer de nouvelles voies. Il meurt d’un cancer en 1910.
Jusqu’au 10 juin, Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis, palais Fénelon, 59360 Le Cateau-Cambrésis, tél. 0359733806, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. Hazan, 240p., 29 euros, ISBN 978-2-7541-0589-7.
Cross
- Commissaire: Françoise Baligand
- Nombre d’œuvres: 133 dont 65 toiles
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Cross-Matisse : croisements réciproques