RENAISSANCE ITALIENNE

Concentration de Maîtres anciens à Jacquemart-André

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 736 mots

Le musée parisien accueille une cinquantaine d’œuvres de la Galerie Borghèse, dans un parcours qui souffre de l’exiguïté des salles.
Paris. Ce n’est qu’une exposition « de transition », pour combler un trou dans la programmation entre la réouverture du musée après travaux, qui a eu lieu début septembre, et le prochain événement de 2025, consacré à Artemisia Gentileschi (1593-1656). Mais au Musée Jacquemart-André, un trou dans le calendrier se bouche avec le concours de Jacopo Bassano, Titien, Lorenzo Lotto ou du Bernin, grâce à la Galerie Borghèse de Rome qui met à profit des travaux pour faire voyager ses œuvres à Paris. Pour opérer la sélection, la principale contrainte qu’a rencontrée Pierre Curie est celle de la taille des espaces d’exposition du musée parisien : pas de Déposition de Raphaël pour son conservateur, qui peut se consoler cependant avec plusieurs dizaines d’incontournables venus de Rome.

La Dame à la Licorne [voir ill.], du même Raphaël, La Cène de Bassano, Le Garçon à la corbeille de fruits du Caravage, ou la Vénus bandant les yeux de l’Amour de Titien (qui joue les doublures de prestige pour Amour sacré et amour profane, trop fragile pour voyager) : le casting romain de Jacquemart-André est exceptionnel. Le scénario choisi pour mettre en scène ces chefs-d’œuvre suit le parcours de Scipion Borghèse, le richissime cardinal à l’origine de cette collection abritée dans sa villa du mont Pincio. « Nous avons fait attention à ne pas nous arrêter à la mort du cardinal, précise toutefois Pierre Curie, c’est une collection qui s’est constituée sur deux siècles. »

Scipion reste néanmoins le personnage principal de la constitution de la collection, un protagoniste en clair-obscur, à l’image des œuvres du Caravage qu’il a accumulées. Les premières qu’il acquiert racontent la toute-puissance d’une famille qui fait de l’art un outil de pouvoir : elles proviennent de la collection personnelle du Cavalier d’Arpin (1568-1640), un artiste qui a travaillé pour les Borghèse et dont l’atelier est saisi de manière arbitraire en 1607 par l’oncle de Scipion, le pape Paul V. Une centaine d’œuvres collectionnées par le peintre entrent ainsi en possession du jeune cardinal.

Un collectionneur à la fois mécène et prédateur
La commande, et même le compagnonnage avec les artistes fait également partie de la démarche d’acquisition de Scipion Borghèse, qui entretient une relation avec le Bernin, représenté dans l’exposition par son autoportrait peint, ainsi que par un petit buste sculpté du pape Paul V. Un objet inhabituel, bijou de sculpture miniature, peut-être un cadeau du sculpteur qui raconte une histoire d’amitié avec son puissant commanditaire. Le collectionneur est à la fois mécène et prédateur, comme lorsqu’il souffle à la famille Barberini la commande d’une scène de genre signée Lionello Spada, unConcert lui aussi présenté à Jacquemart-André.

Soutien aux peintres et sculpteurs, captation des richesses artistiques : l’histoire de la constitution de cette collection d’art italien d’envergure occupe la première moitié du parcours, permettant au visiteur de comprendre une telle concentration d’œuvres majeures. Si elle s’essouffle un peu dans les deux dernières salles thématiques, l’exposition reste bien menée, avec un effort de médiation et de présentation qui ne se repose pas sur la simple exhibition de chefs-d’œuvre.
Étroitesse des espaces
Le parcours sinueux et étroit des expositions temporaires apparaît en revanche plus que jamais inadapté à ces grands rendez-vous, et quelques vidéos publiées par des visiteurs sur les réseaux sociaux témoignent de conditions de visite rappelant les heures de pointe du métro parisien. Difficile d’apprécier les grands formats de Bassano avec le recul nécessaire ; la sensation de petits volumes et de manque d’espace est d’ailleurs accentuée par les sérigraphies recouvrant les murs, rappelant l’intérieur d’une villa. L’accrochage d’œuvres plus petites, comme la merveilleuse Vierge à l’Enfant de Lorenzo Lotto, apparaît bien plus adapté aux salles en enfilade.

Les effets conjugués de la réouverture du musée après un an de travaux et de la célébrité de la collection Borghèse, ainsi qu’une jauge de visiteurs généreuse ont grossi de manière prévisible les rangs des visiteurs. Le musée n’a pourtant pas profité de son chantier de rénovation pour apporter une solution à cette situation contraignante, déjà constatée lors des expositions « Caravage à Rome » en 2018 ou « Botticelli, artiste et designer » en 2021-2022. Nocturnes, allongement des horaires de visite, réduction du quota journalier de visiteurs et gestion des flux prise en compte dans la scénographie, il est à souhaiter que le musée active quelques-uns de ces leviers avant l’arrivée d’Artemisia, la nouvelle star de l’art ancien.
Chefs-d’œuvre de la collection Borghèse,
jusqu’au 5 janvier 2025, Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Concentration de Maîtres anciens à Jacquemart-André

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