Histoire de l'art

6 clés pour comprendre

Comprendre le beau dessin italien

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 26 février 2020 - 1001 mots

Portée au sommet par Raphaël, la pratique du dessin connaît un essor formidable auprès des artistes italiens qui, à partir de la Renaissance, ont rivalisé de virtuosité.

1. Raphaël, le triomphe de la ligne

Chantilly -  C’est un poncif de l’histoire de l’art mais c’est une vérité : Raphaël est le maître incontesté du dessin ancien. Avant lui, personne n’avait poussé aussi loin la perfection de la ligne. Et dans son sillage, des générations d’artistes se revendiqueront de son héritage, jusqu’à des géants modernes comme Ingres et Matisse. Certains de ses dessins les plus aboutis sont d’ailleurs difficilement datables tant ils possèdent une dimension intemporelle, universelle. Le peintre a révolutionné le genre en créant son propre classicisme : une pureté formelle jamais ennuyeuse mêlant l’harmonie sensuelle à un sens de la composition très équilibrée et un dynamisme qui demeure toujours d’une extrême lisibilité. Mais ce qui fascine le plus chez ce virtuose, c’est l’apparente facilité avec laquelle ses chefs-d’œuvre semblent tracés, alors qu’en réalité ses dessins sont le fruit d’un patient travail. Les feuilles de ce génie incarnent la sprezzatura, la fameuse désinvolture vantée par les érudits de son temps.

2. Une grâce divine

Chantilly  - Raphaël n’a pas usurpé son surnom de « Divin ». Mieux qu’aucun autre artiste, il a en effet su capter la grâce qui émane des figures divines et tout particulièrement des madones. Les Vierges à l’Enfant ont d’ailleurs lancé sa carrière et fait sa notoriété, car il a su exploiter le potentiel de grâce, de beauté, d’élégance et de raffinement inhérents à ce thème en produisant des dizaines de tableaux sur le sujet sans jamais se répéter. Cette capacité d’invention de formes qui semble pratiquement illimitée repose en grande partie sur son colossal travail graphique. L’étape du dessin lui permet en effet de repenser à chaque fois la composition et de tester de nouvelles formules, en variant la disposition et les détails. Fait inédit, ses dessins ont d’ailleurs été considérés de son vivant comme des œuvres d’art à part entière et pas seulement comme des outils de travail préparatoire. On sait que certaines feuilles ont même été offertes comme cadeaux diplomatiques et très tôt collectionnées.

3. La fabrique de l’œuvre

Chantilly  - À la Renaissance, le dessin intervient à chaque étape du processus créatif pour les œuvres les plus importantes. A fortiori pour les grands décors qui sont le Graal des peintres. Les commandes prestigieuses donnent ainsi lieu à quantité de dessins qui racontent la genèse de l’œuvre, comme dans le cas de La Dispute du Saint-Sacrement, une fresque réalisée pour les appartements privés du pape au Vatican. Cette feuille préparatoire montre un état déjà bien avancé du projet de Raphaël. Selon la méthode alors usitée en Italie, elle a certainement été précédée d’une série de petites esquisses fixant l’idée générale, puis d’études de composition. Viennent ensuite les études de figures isolées, réalisées à partir de modèles vivants ou d’antiques, habillés ensuite de drapés pour travailler les ombres et la lumière. Ces figures sont enfin rassemblées dans un paysage ou un environnement architectural afin de les lier entre elles de manière vraisemblable et trouver la formule la plus efficace.

4. Variations

Custodia  - Jusqu’à la Renaissance, les artistes ont essentiellement puisé leur inspiration dans un répertoire préétabli de formes. Sous l’influence des humanistes, la grande nouveauté qui se met en place au Quattrocento est l’importance accordée à l’observation des modèles vivants, mais aussi des paysages et des environnements, ainsi que la latitude offerte à l’invention de l’artiste. Le dessin prend alors une importance cruciale, à plus forte raison les esquisses dans lesquelles il jette rapidement ses premières idées sur le papier. Véritable porte ouverte sur l’imaginaire d’un artiste, l’esquisse est la traduction la plus immédiate de ses pensées. Ces feuilles pleines de spontanéité permettent d’observer le mécanisme d’évolution d’une forme. Accès privilégié aux coulisses d’une œuvre, l’esquisse dévoile la manière dont l’artiste fait émerger ses figures sur le papier jusqu’à trouver l’attitude la plus juste. Elle montre aussi comment il compose avec les contraintes stylistiques et spatiales de son sujet.

5. Expressivité de l’anatomie

Custodia  - Mouvement de fond qui irrigue les XVe et XVIe siècles, l’humanisme bouleverse tous les domaines des sciences et de l’art. Ce puissant recentrage sur l’homme se traduit notamment par une recherche de réalisme dans la représentation de la figure qui passe par une meilleure connaissance de l’anatomie. Le dessin anatomique connaît alors un essor formidable et les peintres et les sculpteurs rivalisent pour rendre avec le plus de vérité la physionomie, les membres, la musculature et les postures. On dessine le corps sous toutes ses coutures et les mains occupent une place de prédilection parmi ces abattis. Ce membre jouit en effet d’un statut particulier et on sait que jusqu’à une date récente, dans les grands ateliers, son exécution était souvent réservée aux maîtres, car la main est considérée comme un morceau noble, difficile à rendre avec exactitude et finesse tant elle est porteuse de sens. On conserve ainsi de nombreuses feuilles déclinant la plasticité de la main et son potentiel expressif.

6. Entre ombre et Lumière

Custodia  - Hissé au rang d’œuvre d’art à part entière par Raphaël, le dessin devient le terrain de jeu privilégié des artistes maniéristes dans la seconde moitié du XVIe siècle. Ils exploitent toutes les possibilités offertes par ce médium et multiplient les expérimentations plastiques et stylistiques en jouant sur les effets prodigués par les encres, le lavis, la sanguine et les crayons, sans oublier la pierre noire. Dans ce superbe dessin représentant certainement son épouse, Andrea del Sarto met ainsi à profit le potentiel expressif de la pierre noire et livre un portrait intimiste, symboliste avant la lettre. Ce portrait semble en effet refléter puissamment la personnalité de cette belle femme absorbée dans une sourde mélancolie. La présence de cette figure est dramatisée par une stylisation et un travail virtuose sur l’opposition entre l’ombre et la lumière. Del Sarto obtient ce contraste en alternant avec finesse des hachures avec des zones estompées, tout en réservant le papier nu par endroits.

« Raphaël à Chantilly. Le maître et ses élèves »,
jusqu’au 5 juillet 2020. Domaine de Chantilly, Château 7, rue du Connétable, Chantilly (60). Tous les jours sauf le mardi, de 10h30 à 17 h. À partir du 28 mars, tous les jours de 10 h à 18 h. Tarifs 17 et 13,50 €. Commissaire : Mathieu Deldicque. www.domainedechantilly.com
« Studi & Schizzi. Dessiner la figure en Italie 1450-1700 »,
jusqu’au 10 mai 2020. Fondation Custodia, 121, rue de Lille, Paris-7e. Tous les jours de 12 h à 18 h, fermé le lundi. Tarifs 10 et 7 €. Commissaire : Maud Guichané. www.fondationcustodia.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°732 du 1 mars 2020, avec le titre suivant : Comprendre le beau dessin italien

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque