CHANTILLY
Le 500e anniversaire de la mort de l’artiste est l’occasion de (re)voir ses magnifiques études.
Chantilly (Oise). Coronavirus oblige, c’est dans un climat singulier que le château de Chantilly a dévoilé début mars à la presse son exposition consacrée à Raphaël (1483-1520). Le célèbre monument se situe en effet dans l’Oise, département durement touché par l’épidémie et en partie confiné jusqu’au 14 mars. Bien que la cité cantilienne ne se trouve pas en zone confinée, mais à proximité de plusieurs villes sous surveillance, elle est soumise à un arrêté préfectoral interdisant tout rassemblement. De ce fait plusieurs événements programmés au sein du domaine ont été annulés, telles les animations équestres et la « Grande soirée princière » ; tandis que le vernissage a été reporté sine die. L’exposition, quant à elle, a en revanche bien été maintenue. Il faut dire qu’elle était attendue de pied ferme par les amateurs du maître de la Renaissance puisqu’il s’agit de la seule manifestation organisée dans l’Hexagone à l’occasion des célébrations du 500e anniversaire de la disparition de l’artiste.
Cette exposition de prestige, qui constitue l’un des temps forts du Mois du dessin, s’inscrit totalement dans la stratégie de développement portée par le château depuis plusieurs années, visant à muscler sa programmation pour inscrire le site dans le réseau des grands musées. Le château ne pouvait donc pas rater l’anniversaire de la mort de Raphaël, vedette de l’art ancien et peintre et dessinateur préféré du duc d’Aumale, le fondateur de l’illustre collection qu’héberge le château. L’hommage au maestro se déroule dans deux espaces : le cabinet d’arts graphiques et les salles de peinture où les trois chefs-d’œuvre acquis par le duc – Les Trois Grâces, La Madone de la maison d’Orléans et La Madone de Lorette– ont bénéficié d’une médiation repensée.
Le véritable événement est bien sûr l’accrochage dans le cabinet d’une quarantaine de précieux dessins du maître et de ses élèves, dont dix feuilles autographes. Et non des moindres. Le château peut en effet s’enorgueillir de posséder de superbes études, notamment celle très aboutie pour La Belle Jardinière, mais aussi une saisissante sanguine préparatoire au décor de l’Incendie du Bourg, sans oublier la célèbre étude pour la Dispute du saint sacrement. Une étonnante Madone d’humilité, témoignage d’un tableau aujourd’hui perdu, sort également du lot en raison de son iconographie d’inspiration toute vincienne. Le fil rouge choisi pour l’accrochage est justement celui des influences et de la circulation des formes. Le parcours s’ouvre ainsi logiquement sur les sources d’inspiration du « Divin » (ainsi que le surnommait Vasari) à commencer par les emprunts plastiques et stylistiques envers ses aînés le Pérugin et Pinturicchio. Un dessin de ce dernier représentant des enfants est fort à propos juxtaposé à un vaste carton illustrant une curieuse scène ; un festival de putti chevauchant des sangliers. Si les enfants potelés au front constituent une citation presque littérale de Pinturicchio, les animaux sont en revanche un emprunt direct à Dürer. Ces rapprochements de feuilles démontrent combien chez Raphaël le dessin est un laboratoire où l’artiste emmagasine les nouveautés esthétiques et les assimile, avant de les transcender dans son propre style. C’est justement cette démarche qui lui a permis d’atteindre comme personne auparavant la perfection de la ligne. Cette virtuosité, particulièrement magistrale dans ses fameuses Madones et ses grands décors, constitue une leçon pour ses élèves et ses suiveurs, comme le rappelle la suite du parcours. Les dernières salles se focalisent en effet sur l’héritage légué par le maître, véritable étoile filante disparue à l’âge de 37 ans seulement. Bien que flirtant ouvertement avec le maniérisme, les dessins de Giulio Romano, de Polidoro da Caravaggio et de Perino del Vaga attestent de l’onde de choc provoquée par Raphaël. L’exposition constitue un bel hommage à cette comète qui a bouleversé l’histoire de l’art, redéfini durablement les canons du dessin et influencé des générations d’artistes jusqu’au XXe siècle.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Chantilly célèbre Raphaël, le maestro des dessinateurs