PARIS
Le Musée du Luxembourg expose une partie de la collection de la Tate Britain de 1760 à 1820. L’occasion rêvée d’une mise à jour sur la peinture britannique.
Ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or de la peinture anglaise coïncide avec le long règne de George III (1760-1820). Une période de profonds bouleversements sociaux et politiques qui est aussi celle de l’affirmation sans précédent de l’individu et du marché. Ce contexte explique les orientations singulières de l’art anglais, à commencer par la suprématie du portrait, genre traditionnellement relégué au second rang dans la hiérarchie académique. Afin de répondre aux attentes de ses contemporains, soucieux de posséder et de diffuser leur effigie, mais aussi de conférer une certaine distinction intellectuelle à l’art du portrait, sir Joshua Reynolds élabore une véritable théorie de l’esthétique de l’individu. Peintre phare de l’époque et premier directeur de la Royal Academy, il renouvelle totalement le genre en employant un format inhabituel, plus grand que nature, et en truffant ses œuvres de références culturelles et d’inventions formelles, tout en prônant une idéalisation classique.
Avec Reynolds, Gainsborough est l’autre maître incontesté du portrait anglais. Les deux géants cultivent toutefois deux visions bien différentes de l’exercice. Si Reynolds défend l’idée d’une peinture cérébrale pétrie de références culturelles et conférant une certaine « dignité intellectuelle » à ses modèles, Gainsborough se fait au contraire le chantre d’une peinture virtuose, sensuelle mais résolument ancrée dans l’ère contemporaine. Ses portraits se distinguent par exemple par leur recherche de symbiose entre le modèle et la nature, une approche emblématique des réflexions de l’époque sur le retour à la nature. Alors que les portraits traditionnels de femmes les magnifient dans leur rôle d’épouse ou d’actrice de la scène culturelle, Gainsborough immortalise son modèle dans une pose nonchalante en communion avec la nature. Lady Bate-Dudley se donne à voir de profil, le regard fuyant, et sa chevelure mousseuse semble se confondre avec le mouvement des branches au-dessus d’elle.
Genre roi de la peinture anglaise, le portrait se décline à l’époque sous toutes ses facettes pour répondre aux attentes des classes dirigeantes à la recherche d’originalité et de personnalisation. Des formules novatrices connaissent un engouement particulier de la part des commanditaires : la conversation piece, qui met en scène de manière faussement informelle un petit groupe familial dans un cadre privé, et le portrait d’enfant. Ce dernier s’inscrit dans un contexte général de sensibilité nouvelle envers l’enfant nourrie par la philosophie des Lumières, mais il s’explique aussi par des considérations plus politiques. En Angleterre, les élites, dont le rôle s’est considérablement accru, revendiquent leur place dans la société en insistant sur les notions de lignée, de foyer et de famille. Les charmants portraits d’enfants, si inoffensifs en apparence avec leurs sourires mutins et la fraîcheur conférée par leurs déguisements, sont en réalité souvent des instruments de légitimation dynastique.
S’il est un genre intrinsèquement britannique, c’est bien celui du portrait équidé. Un domaine singulier, dont le peintre George Stubbs est le meilleur représentant. Alors même que la peinture animalière est dévalorisée dans la hiérarchie académique, les aristocrates et la gentry se passionnent pour ces tableaux permettant de conserver pour la postérité l’image des plus beaux spécimens de leurs écuries. Les membres du sélect Jockey Club, mais aussi les nombreux amoureux d’équitation et de chasse à courre que compte le pays, constituent un solide vivier de commanditaires. Ils s’arrachent les œuvres de Stubbs qui se caractérisent par un souci de réalisme inédit. Le peintre cherche en effet à retranscrire le plus fidèlement possible l’anatomie du cheval, qu’il a étudiée en procédant à des dissections, tout en tentant de faire ressortir l’individualité de ses modèles. Ses tableaux exerceront une puissante fascination sur les générations suivantes, notamment en France chez Géricault et Degas.
« Le paysage est ma maîtresse », confesse Constable à sa future épouse. Si la déclaration relève un peu du mythe que le peintre cherche à construire, force est de constater que le paysage occupe une place cruciale dans la carrière de celui qui passa des années à arpenter la campagne anglaise pour immortaliser la nature de façon intimiste et sensible. Un choix de cœur mais aussi de raison, car le paysage est alors un genre extrêmement prisé des collectionneurs. L’essor du marché de l’art et de la société de consommation entraîne en effet un engouement massif pour ces tableaux de petit format au sujet séduisant et facile d’accès. Cet intérêt pour les vues champêtres, les jardins, les scènes de la vie rurale participe aussi en profondeur à la définition de l’identité britannique. Devenu un genre majeur, le paysage est alors au cœur de réflexions théoriques, notamment sur la notion de picturesque, mais aussi d’expérimentations, à l’instar de la peinture sur le motif promue par Constable.
Bien qu’elle soit valorisée par l’enseignement académique, la peinture d’histoire occupe une place plus que congrue dans l’Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles. Une singularité au regard des autres foyers européens – où le genre se situe au sommet de la hiérarchie – qui s’explique par la sociologie des commanditaires et l’histoire des institutions politiques et religieuses. Au XIXe siècle, des artistes tentent toutefois de s’illustrer dans la peinture d’histoire en choisissant des sujets efficaces et calibrés pour le public et de potentiels mécènes. Pour frapper l’imaginaire, ils s’inspirent des codes du théâtre, un art alors extrêmement populaire. Les grandes machines de John Martin sont emblématiques de cette recherche de dramaturgie et de spectaculaire, qui répond à l’appétit des spectateurs pour les images et les sensations fortes. Ses tableaux, qui ont depuis largement influencé les films catastrophe, proposent un alliage détonnant de sublime et de sensationnalisme.
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Comprendre l’âge d’or de la peinture anglaise
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Comprendre l’âge d’or de la peinture anglaise