AMSTERDAM / PAYS-BAS
Grâce à sa scénographie, le Rijksmuseum, qui a réuni 28 des 36 tableaux de Vermeer, fait découvrir le maître de Delft aux milliers de visiteurs attendus, tout en préservant leur confort.
Amsterdam. Le jour est « historique » pour Taco Dibbits, directeur général du Rijksmuseum. Le musée amstellodamois inaugure une exposition couverte de superlatifs avant même son ouverture, qui pourtant ne présente que 28 œuvres. Oui, mais ce sont des Vermeer : « Nous avons souhaité présenter seulement Vermeer, avec l’objectif de le rendre le plus proche du public », explique le directeur. Pas de suiveurs ou de contemporains, comme lors des expositions du Louvre en 2017, de Rome en 2012, ou encore de la National Gallery de Londres et du Prado à Madrid au début des années 2000.
Il faut remonter à 1996 avec l’exposition qui s’est tenue aux États-Unis puis aux Pays-Bas pour retrouver une telle réunion d’œuvres de Johannes Vermeer (1632-1675). À l’époque 21 tableaux étaient présentés à Washington et 23 à La Haye. « Si vous avez moins de 40 ans, vous n’avez jamais eu l’opportunité de voir une rétrospective “Vermeer”, résume Pieter Roelofs, commissaire de l’exposition. C’est notre responsabilité et notre devoir de faire en sorte que les générations futures s’emparent de ce patrimoine. » Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Rijksmuseum a saisi l’occasion d’une rénovation en cours à la Frick Collection à New York, « mettant ainsi la main », temporairement s’entend, sur ses trois toiles signées du maître de Delft. Avec les sept œuvres conservées aux Pays-Bas, cela fait dix ; ne reste alors plus qu’à convaincre les plus prestigieuses institutions du monde. « Berlin, Dresde, Dublin, Paris, Tokyo, New York, Washington : tout le monde est monté à bord ! », se félicite Taco Dibbits.
Petit corpus, salles immenses
Vingt-huit, le chiffre est impressionnant comparé au corpus très réduit de Johannes Vermeer, qui oscille aujourd’hui entre trente-six et trente-sept. Mais s’il paraît énorme du point de vue de l’histoire de l’art, il donne le vertige aux commissaires lorsqu’il est rapporté aux espaces d’exposition temporaire majestueux du Rijksmuseum. « Nous savions qu’il allait y avoir beaucoup d’attention, beaucoup de visiteurs, donc nous voulions l’intégralité de l’espace. Mais la peur que j’ai eue, c’est si nous allions parvenir à montrer 28 peintures, plutôt petites, dans des salles aussi vastes », rapporte Pieter Roelofs.
C’est l’agence Wilmotte & associés Architectes, avec laquelle le musée néerlandais collabore régulièrement, qui s’est penchée sur l’équation. Et le résultat donne aujourd’hui entière satisfaction au Rijksmuseum : « La scénographie est un monument en elle-même ! », s’extasie Taco Dibbits. Le directeur peut en effet se réjouir, car la scénographie proposée par l’architecte français est à la hauteur de l’événement, ne masquant rien des dimensions gigantesques des salles, et mettant en valeur leur éclairage zénithal, pour une solennité adaptée à ce temps fort dans la vie de l’institution : c’est la première exposition « Vermeer » du Riksmuseum en 200 ans de son existence.
Mais ce sont surtout les solutions trouvées pour inviter les spectateurs à rentrer dans l’image, en évitant la sensation de petits formats perdus sur de vastes cimaises, qui font de ce parcours un succès. Une alternance de lourds rideaux feutrés et de panneaux légèrement décalés donne du relief aux salles où trois ou quatre œuvres – parfois une seule – s’offrent au regard du visiteur. Un écho direct aux peintures de Vermeer et aux scènes de genre hollandaises, où l’on oppose au regard du spectateur qui souhaite pénétrer dans l’intimité d’une pièce de lourds brocarts, une porte entrouverte ou une cloison.
Après une séquence consacrée aux œuvres de jeunesse et aux deux paysages de Vermeer, cette scénographie démontre toute son efficacité dans deux salles où un seul tableau attend le visiteur : La Liseuse à la fenêtre (vers 1657), entourée d’un vert profond, puis La Laitière (1658), présentée dans une ambiance aux tons chauds. Les cimaises ne sont pas ici des écrins pour ces deux chefs-d’œuvre, mais la continuité des espaces complexes composés par le peintre il y a quatre siècles.
Le parti pris d’un Vermeer universel
Cette scénographie répond parfaitement aux intentions des commissaires – par ailleurs discutables – qui présentent Vermeer comme un artiste atemporel, ne mentionnant ni les traditions picturales dont relève son travail ni les circuits artistiques auxquels il s’intègre. Ne donnant aucun indice sur le siècle ou la condition du peintre, le parcours met en revanche en relief l’organisation plastique des toiles de Vermeer. Le spectateur est ainsi « happé » dans l’image par la profondeur et un certain voyeurisme, tandis que son attention est maintenue à sa surface par l’examen des dispositifs picturaux : les fils de la dentellière, qui sont des fils tant de coton que de peinture, le trou de clou vide derrière la laitière, ou encore le tapis sur lequel la camera obscura a fait la mise au point – comme dans une photographie – devant La Liseuse à la fenêtre. Le choix inhabituel d’un éclairage reproduisant la lumière naturelle, quand les maîtres anciens sont traditionnellement présentés dans des lumières chaudes, voire jaunes, parachève ce parti pris de présenter un Vermeer universel.
Si le parcours est une belle invitation à se perdre dans les toiles de Vermeer, c’est aussi une architecture pensée pour faire de cet événement un succès populaire. 200 000 tickets ont été vendus avant même l’ouverture de l’exposition, et les horaires du Rijksmuseum ont été rallongés pour l’occasion. Dans les salles, quelques astuces ont été trouvées pour concilier quantité de visiteurs et qualité de visite : des éléments de mise à distance courbes sur lesquels peuvent s’appuyer une dizaine de curieux, et des bancs déportés sur les côtés (et non au milieu de la salle). Derrière le velours des rideaux se cache bien un dispositif très élaboré de gestion des flux de visiteurs. Et Pieter Rolefs nous l’assure : elle a brillamment passé le crash-test de la visite du personnel et leurs proches, qui a amené des « centaines de visiteurs ».
jusqu’au 4 juin, Rijksmuseum, Museumstraat 1, Amsterdam.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°605 du 17 février 2023, avec le titre suivant : Au plus près de Vermeer