Entre contemplation et rappel d’une menace sous-jacente, le ton est donné pour la 7e édition de cette manifestation portant un regard sur la nature.
Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). « Je pense que l’on peut frapper, questionner par le beau », s’émeut Chantal Colleu-Dumond. Cette conviction profonde, la fondatrice et directrice du Centre d’arts et de nature de Chaumont-sur-Loire a trouvé l’écrin pour l’exprimer. Identifié depuis longtemps pour son Festival international des jardins, le domaine de Chaumont l’est aussi pour les invitations annuelles passées à des artistes de renommée internationale. Dans le cadre de la Saison d’art, des œuvres sur le thème de la nature y sont créées pour le parc, le château ou ses dépendances. Des éditions précédentes sont encore visibles nombre d’œuvres. Mais depuis le 16 novembre, c’est la 7e édition de « Chaumont-Photo-sur-Loire » qui est à découvrir avec les travaux de photographes sur la nature.
Cette année, la sélection réunit Jens Liebchen, Nicolas Bruant, Letizia Le Fur, Laurent Millet et Edward Burtinsky, aux écritures visuelles distinctes. Dans l’asinerie, à l’entrée du domaine, la série de portraits de pins noirs de Jens Liebchen, réalisée en l’espace de trois heures un jour de tempête de neige à Tokyo, retient le regard par leur présence d’une grande élégance [voir ill.]. La dizaine d’instantanés, « aucunement retouchés », précise-t-il, distille dans un paysage enneigé, brumeux et venteux, la silhouette gracile, isolée ou regroupée de ces arbres au tronc sombre et aux aiguilles saupoudrées de blanc. La taille minutieuse des frondaisons indique le soin apporté régulièrement à ces pins plantés dans la partie extérieure du jardin du Palais impérial. Car c’est de voir dont il s’agit dans les photographies de Liebchen, qui expose pour la première fois en France. S’approcher au plus près de ces tirages subtils confondants par leur blanc et gris clair, laisse percevoir en arrière-plan des voitures, des immeubles et quelques passants, « révélateurs d’une organisation urbaine, sociétale », souligne le photographe allemand.
Changement de tonalité et de propos avec Nicolas Bruant et ses grands tirages au noir et blanc contrasté de baobabs, palmiers, acacias ou bouleaux, présentés dans un des salons meublés du rez-de-chaussée du château. Leur séduction tient ici à l’expression du caractère merveilleux de ces sous-bois ou feuillages saisis sous des éclats de lumière ou au crépuscule par ce grand voyageur, notamment en Afrique. On y pressent son attachement à cette nature où Peuls et Dogons ont vécu un temps en paix.
Tout autre est la démarche de Letizia Le Fur qui a décoloré ses photos de la forêt polynésienne jusqu’à obtenir un nuancier de gris évoquant un paysage sous la neige ou sous la cendre. Pour cette coloriste, le geste radical de décolorisation par petites touches sur l’ordinateur a valeur de métaphore. Elle l’explique par la dichotomie existant entre ces images en couleur et ce qu’elle « avait ressenti et entendu sur place sur les essais nucléaires vécus pendant trente ans par la population et qui marquait encore les esprits et les sols ».
Chez Laurent Millet, la déréalisation de ces images de forêts indonésiennes vers un nuancier de dorés et de bleus via des procédés anciens obéit quant à elle à un désir de « réhabiliter la féerie de l’ornementation, de l’artifice à vocation décorative des papiers dominotés, imprimés entre le XVIIe et le début du XIXe siècle ». À ce « Jardin d’après nature », titre de la série, succèdent des photogrammes inédits réalisés dans les mêmes couleurs à partir de plantes et feuillages de son environnement immédiat. L’intensité des bleus ou des dorés variant selon la lumière est un pur plaisir des yeux. Dans ces images s’exprime le rapport qu’il entretient avec la nature depuis ses premières photographies : « un rapport d’arrière-plan où des choses se passent ». Les « Études africaines » du Canadien Edward Burtynsky sont, elles, des images prises depuis un hélicoptère ou un drone et tirées en très grand format. Exposées pour la première fois en France, ces paysages de l’Afrique subsaharienne transformés par l’extraction, la déforestation et l’urbanisation convoquent le spectaculaire pour dénoncer et éveiller les consciences. « Je crois beaucoup au pouvoir de l’émotion », souligne Chantal Colleu-Dumond, dont le renouvellement en novembre pour trois ans à la direction de du domaine promet d’autres éditions où, derrière la beauté des images, apparaît la fragilité de l’existence.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Chaumont-Photo : « questionner par le beau »