Venue d’Ukraine, elle a trouvé ses marques à Paris où elle a conquis l’intelligentsia cosmopolite des Années folles. L’artiste connaît de nouveau une gloire à sa mesure.
Paris. Le Musée Zadkine accueille la 2e rétrospective consacrée à la sculptrice Chana Orloff (1888-1968) après celle de 1971. Les commissaires, Cécilie Champy-Vinas et Pauline Créteur ainsi qu’Éric Justman et Ariane Tamir, les petits-enfants de l’artiste qui entretiennent sa mémoire, ont construit autour de plus de 120 œuvres et documents un parcours présentant la biographie, les différentes thématiques et les matériaux de prédilection de cette quasi-inconnue. Et le public est conquis.
Née dans l’actuelle Ukraine, Orloff a eu un destin exceptionnel. Juive, elle a émigré en 1906 vers la Palestine avec sa famille. En 1910, elle s’est embarquée pour Paris dans le but d’y obtenir un diplôme de couturière qui lui permettrait d’exercer dans son pays d’adoption. Mais découvrant sa vocation de sculptrice, c’est en France qu’elle s’est installée, même si elle a dû de nouveau fuir pendant la Seconde Guerre mondiale et a vécu, ensuite, entre plusieurs pays.
« Son ascension fulgurante est légendaire, raconte sa biographe Paula J. Birnbaum dans le catalogue. […] Il lui faut moins de dix ans pour établir sa réputation de portraitiste prolifique et de figure majeure de l’école de Paris. » D’un naturel très sociable, cette femme d’une grande intelligence s’est constitué un réseau de relations dans le « groupe cosmopolite des artistes et écrivains de Montparnasse » et la première salle du parcours regroupe quelques portraits de personnages de cette société réalisés pour beaucoup dans les années 1920 : en 1923, elle représente par exemple Max Jacob, Moïse Kisling et Fernand Léger. Il s’agit pour la plupart de têtes sur un socle cubique, mais elle affectionne aussi le format du buste comme celui de Gaston Picard (bois, 1920), une étude psychologique et réaliste, même si les surfaces sont simplifiées, tandis qu’Alexandre Iacovleff (ciment, 1921) présente une stylisation des formes Art déco dont l’artiste s’éloigne ensuite : Le Peintre Reuven Rubin (bronze, 1926) est inspiré par les bustes du Quattrocento telle La Belle Florentine (Sainte Constance) du Louvre – on sait qu’Orloff fréquentait assidûment les musées. Le visage s’inspire ici de la mosaïque byzantine.
Plusieurs enfants sont représentés en pied : Nadine (bois, 1921), aux formes très simplifiées, évoque une poupée russe tandis qu’Ida Chagall (bronze, 1923) se rapproche d’une korè (sculpture grecque archaïque). Le style unique d’Orloff naît des différentes influences qu’elle assimile tour à tour, se nourrissant sans jamais imiter. Dès 1912, elle fréquente Chaïm Soutine, Ossip Zadkine et Amedeo Modigliani : elle évolue en même temps qu’eux et, souvent, leurs sculptures ont un air de famille. Il est illusoire de définir qui a influencé qui. Elle-même a pu entraîner ses compagnons dans des directions nouvelles : sans doute parce qu’elle était une femme, son œuvre a jusqu’à récemment été peu étudié dans cette optique.
Vite célèbre, l’artiste est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1925 et elle obtient la nationalité française en 1926. Collectionnée en Europe et aux États-Unis, elle participe en 1937 à l’exposition « Les Maîtres de l’art indépendant », dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris. Lorsque débute la Seconde Guerre mondiale, elle met longtemps à comprendre qu’elle est menacée : avec son fils Élie dit « Didi », elle échappe de peu à la rafle du Vel d’Hiv en 1942 et se réfugie en Suisse où elle se remet à travailler. Elle reviendra avec un style différent : Le Retour (bronze, 1945) représente un personnage assis, les coudes sur les genoux tel un Penseur désespéré dont seuls le front et les joues présentent une surface lisse. Se reprenant vite, cette femme incroyablement forte se partagera désormais entre la France, les États-Unis et Israël. La Maternité Ein Gev (plâtre, 1951), monument commémoratif sculpté pour un kibboutz, marque le retour aux formes rondes et aux thèmes d’avant-guerre.
Le retour de « L’Enfant Didi »
Restitution. En juillet 1942, Chana Orloff a laissé 140 sculptures dans son atelier parisien. Ces œuvres ont été volées et seules quatre ont réapparu depuis, dont L’Enfant Didi (bois, 1921) localisée aux États-Unis en 2008 et rendue à la famille en janvier 2023. Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre un espace d’exposition aux informations que l’on possède sur cette spoliation. Au centre de la petite pièce est présentée la statue très stylisée d’Élie Justman, le fils de Chana. Les enfants de Didi espèrent que d’autres sculptures de leur grand-mère retrouveront leur place dans sa maison-atelier de la villa Seurat (Paris, 14e arr.), ouverte au public.
« L’enfant Didi », itinéraire d’une œuvre spoliée de Chana Orloff, 1921-2023, jusqu’au 29 septembre, MAHJ, 71, rue du Temple, 75003 Paris.
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Chana Orloff, sculptrice du tout-Montparnasse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : Chana Orloff, sculptrice du tout-Montparnasse