La rétrospective des Sables-d’Olonne bat en brèche quelques idées reçues sur l’artiste polymorphe.
Les Sables-d’Olonne (Vendée). Et si on admettait une fois pour toutes que Gaston Chaissac (1910-1964) est un artiste majeur du XXe siècle ? Si on oubliait les lieux communs déclinés à son égard, qui vont du petit cordonnier sympathique au « Picasso du bocage » ? Si enfin, on ne le voyait pas comme l’un des protégés de Dubuffet, dans la « section » de l’art brut ? La rétrospective du Musée de l’Abbaye-Sainte-Croix, grâce au dépôt récent d’une centaine d’œuvres, déploie avec éclat cette production plastique polymorphe.
Le parcours chronologique propose, outre les œuvres, de nombreux documents dont des lettres écrites par Chaissac que l’on retrouve reproduites dans le très complet catalogue. Mais les surprises ici sont les œuvres en noir et blanc, qui tranchent avec la palette bariolée de l’artiste. L’oscillation entre dessin et écriture, lesquels finissent par s’entrelacer, rappelle que Chaissac n’était pas uniquement un peintre mais aussi un épistolier qui entretenait une correspondance plus qu’abondante. Cependant, la première œuvre exposée au musée, datant de 1937, est en couleurs. Ceci n’est nullement un hasard. L’artiste – issu d’un milieu modeste – fait la découverte de l’art par le biais d’un voisin dont le nom est Otto Freundlich. Ce peintre allemand, un des pionniers de l’abstraction et fabuleux coloriste, est une source d’encouragement pour Chaissac. L’œuvre de 1937 s’inspire, écrit Gaëlle Rageot-Deshayes, commissaire de l’exposition, « d’un art construit, dont l’appareillage de formes géométriques progresse de façon organique ». D’autres soutiens viendront rapidement et non des moindres – Albert Gleizes ou André Bloc –, des noms qui tordent le cou à la légende du peintre solitaire, reclus au fond de la Vendée. On remarque d’ailleurs que sa première exposition parisienne date de 1938.
Rapidement apparaissent les personnages de Chaissac, reconnaissables entre mille. Ces figures simplifiées dégagent souvent une expression d’une étrange naïveté, naïveté que le spectateur est tenté d’attribuer à leur créateur. En réalité, conscient des effets plastiques qu’il cherche à obtenir, l’artiste écrit : « donner à mes peintures naïves, dessins d’enfants, toujours plus de simplicité […] quant à mes dessins abstraits, je veux les pousser à un très haut degré de raffinement ». Toutefois, les œuvres proches de l’abstraction, qui forment un microcosme cellulaire, sont rares.
Quoi qu’il en soit, Chaissac se tient au fait de l’art de son temps. Comme d’autres, il n’échappe pas à l’admiration pour Picasso qu’il cite même explicitement dans une toile de 1948-1949. Et, de fait, certains de ses visages géométrisés, qui semblent se diriger simultanément dans des directions opposées, peuvent évoquer le procédé cubiste, « recyclé » par Chaissac.
Mais, peut-être, le véritable point commun avec le maître espagnol est l’aisance de l’artiste vendéen à s’adapter aux contraintes les plus variées, sa capacité à ressusciter les objets laissés pour compte. Le travail de Chaissac s’enrichit quand il rencontre, dans les humbles débris domestiques, chutes de planches, fragments de souches, tôle, papier d’emballage, carton, tous matériaux stimulant son inspiration. La partie la plus spectaculaire de l’exposition présente des collages et des peintures sur des supports inattendus – une bouteille, un fond de lessiveuse, une assiette creuse, (Assiette Joséphine, 1954) –, ou encore, la même année, un merveilleux visage peint à l’huile sur une pierre. Le collage devient bricolage, jeu d’enfant filtré par l’imagination de l’artiste.
Le parcours s’achève sur les œuvres iconiques de Chaissac, des personnages longilignes et colorés, réalisés à partir de bois de récupération. Ces totems contemporains, qui sourient ou grimacent, on ne sait, viennent d’un ailleurs, d’un pays où les rêves ont des couleurs.
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Chaissac l’enchanteur
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Abonnez-vous dès 1 €Sans titre, Gaston Chaissac - 1939 - gouache sur papier © Photo : Philippe Roche
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Chaissac l’enchanteur