Captive, l’architecture des zoos ? Non, bien au contraire. Celle-ci a plutôt cherché, dans sa courte histoire, à se libérer des traditionnels « carcans », cages à barreaux et autres enclos contraignants, à l’instar du nouveau Zoo de Vincennes, entièrement paysager.
De fait, les zoos ou, plus exactement, les « parcs zoologiques » sont des héritiers directs des anciennes ménageries royales ou impériales. Celui de Schönbrunn, à Vienne (Autriche), l’un des plus anciens au monde, a été fondé en 1752 sur les terrains du château éponyme et comprend notamment le Pavillon de la ménagerie des Habsbourg, de style baroque, construit par l’architecte Jean-Nicolas Jadot. Il reste que la plupart des grands zoos urbains des capitales ont été édifiés au XIXe siècle : Londres (Regent’s Park, 1828), Berlin (1844), New York (Central Park, 1859), Paris (Jardin d’Acclimatation, 1860), Moscou (1864), Chicago (Lincoln Park, 1868), Bâle (1874), Tokyo (Ueno, 1882), Buenos Aires (1888)… Leur architecture, elle, se développe justement selon la conception du paysage et des jardins de ce XIXe siècle, et les édifices calquent les styles en vogue, tels le romantisme – château, chalet suisse… – ou l’exotisme – temple égyptien, mosquée orientale, pagode asiatique… Le splendide zoo de Berlin en est un merveilleux exemple. Conçu par le créateur de parcs prussien Peter Joseph Lenné – qui est à l’origine du romantisme paysager –, il se déploie à la manière d’un jardin à l’anglaise. À l’intérieur, les divers édifices, aujourd’hui préservés ou reconstruits, affichent un indéniable intérêt. On pense notamment au bâtiment blanc des zèbres avec sa coupole « arabisante » et à ce « palais » des girafes aux allures mauresques, construction de briques beiges truffée de mosaïques bleues et flanquée de quatre « minarets ».
Hagenbeck, inventeur du zoo « sans barreaux »
Le concept moderne de zoo est, lui, né il y a un peu plus d’un siècle. On doit sa création à un certain Carl Hagenbeck, zoologiste allemand visionnaire, qui, en mai 1907, fonde, à Stellingen dans la banlieue de Hambourg (Allemagne), le premier « zoo panoramique » doté d’« enclos de liberté » – en allemand Freianlage ou « installation libre » –, un modèle révolutionnaire à l’époque. Les animaux ne sont plus montrés dans les traditionnelles cages grillagées, mais sur des « plateaux » extérieurs, dans des enclos et des bassins dits « d’immersion dans le paysage », reproduisant – ou tentant de reproduire – des décors naturels sous forme de « panoramas zoologiques ». Les loges des animaux ainsi que les locaux techniques sont dissimulés par des enrochements artificiels qui servent de décors. Au lieu des habituels barreaux, Hagenbeck use de fossés pour séparer le public des bêtes, une astuce qui donne au visiteur l’impression de déambuler au sein du même espace qu’elles. Sagace, l’homme dépose même un brevet d’invention et construira des zoos en Europe (Rome, Anvers, Budapest, Londres, Milan…) et aux États-Unis (Saint-Louis, Detroit, Cincinnati…). C’est d’ailleurs lui qui, quelques années plus tard, donnera à Paris l’envie d’ouvrir son propre parc.
En 1931, en effet, alors que l’Exposition coloniale bat son plein du côté de la Porte Dorée, un petit zoo – trois hectares, cinquante animaux exotiques – implanté à l’orée du bois de Vincennes remporte un franc succès, attirant, en l’espace de six mois, cinq millions de visiteurs. Son auteur : Carl Hagenbeck. La Mairie se hâte alors pour dénicher 15 hectares aux abords du lac Daumesnil et charge Charles Letrosne, architecte en chef des Bâtiments civils et des palais nationaux, d’imaginer le Parc zoologique de Paris, communément appelé « Zoo de Vincennes ». Ce dernier – 600 mammifères et 1 200 oiseaux au compteur – sera inauguré le 2 juin 1934. Clou du parc : son majestueux (et faux) Grand Rocher, 65 mètres de béton sous la toise.
Dans les années 1930, en outre, quelques tentatives seront faites pour introduire des principes de l’architecture moderne dans la conception de zoos. C’est le cas notamment de celui des Regent’s Park, à Londres, lequel, au XIXe, s’était déjà montré précurseur en créant le premier vivarium, puis aquarium, enfin insectarium. Avec l’architecte Berthold Lubetkin et son agence Tecton, l’institution londonienne entre de plain-pied dans la modernité. En 1933, la Round House pour loger les gorilles est l’un des premiers édifices modernistes à être construit au Royaume-Uni. Idem, un
an plus tard, avec la splendide Penguin Pool [« bassin des manchots »] et ses deux rampes de béton qui s’enroulent au dessus d’un bassin de forme ovale, laquelle deviendra une icône du mouvement moderne. Les fans de Berthold Lubetkin et de zoos, ou vice-versa, pourront d’ailleurs pousser un peu plus loin à l’ouest de Londres, en direction des West Midlands. À Dudley, non loin de Birmingham, le zoo de la ville arbore pas moins d’une douzaine de projets signés Lubetkin & Tecton : du bassin du lion de mer à la maison de l’éléphant, en passant par le complexe de l’ours polaire, ainsi que des kiosques, des cafés et un restaurant. Bref, une formidable collection d’architecture moderniste.
Après la Seconde Guerre mondiale, avec le développement de l’éthologie – étude du comportement des diverses espèces animales, y compris en captivité –, l’architecture des zoos innove. Peu à peu, les loges étroites et alignées côte à côte disparaissent, les enclos s’agrandissent et se végétalisent. Cette évolution passera, parfois, par des phases curieuses, comme entre les années 1950 et 1970, lorsqu’un fonctionnalisme à tout crin, doublé d’un hygiénisme rigide, produit des enclos « stériles » avec carrelage au sol et parois en acier inoxydable, une esthétique « brutaliste », dont on découvrira par la suite qu’elle sera, chez les bêtes, à l’origine de nombreuses… déformations osseuses.
À Vincennes, un concept de zoo paysager
Le nouveau Zoo de Vincennes, lui, se veut davantage paysager qu’hygiéniste. Revu et foncièrement corrigé par les architectes Bernard Tschumi et Véronique Descharrières, de l’agence BTuA, et par la paysagiste Jacqueline Osty, il était fermé depuis 2008. Deux ans de travaux, d’un coût de 167 millions d’euros, et la métamorphose est spectaculaire. N’était-ce ce bon vieux Grand Rocher qui, telle une vigie, hisse toujours fièrement sa cime par-delà les frondaisons, tout a changé. À commencer par la topographie même du lieu, entièrement remaniée. On a l’impression aujourd’hui de déambuler dans un jardin. La densité végétale a augmenté de 40 % : 2 150 arbres et 155 000 arbustes nouveaux ont été plantés. Le long d’une promenade de 4,2 kilomètres, le visiteur peut découvrir plus d’un millier d’animaux de 180 espèces différentes, réparties en cinq entités géographiques : Patagonie, Sahel-Soudan, Europe, Guyane et Madagascar. S’y succèdent les points de vue, en l’occurrence de larges baies vitrées – parfois enclines aux reflets – qui privilégient les vis-à-vis directs avec les bêtes.
À l’instar de cette ribambelle de pieux épais qui empêchent le rhinocéros blanc Wami, 2 ans, d’aller importuner les zèbres de Grévy, l’architecture ne fait pas dans la dentelle. Ainsi, les nouveaux bâtiments peinent-ils à camoufler leur façade en bacs d’acier derrière un empilement de robustes madriers en mélèze. Sans doute est-ce le résultat de ce cahier des charges exigeant à la fois « sécurité/bien-être des animaux/confort de travail pour les soigneurs/esthétique et attractivité/maintenance à long terme ». Idem avec la volière de 1 500 m2 plantée au pied du Grand Rocher, dont la hauteur oscille entre 11 et 17 m. Ses mâts inclinés sur lesquels sont tendus les filets métalliques sont pour le moins massifs, en regard des frêles volatiles. On pense à l’amusante géométrie de la volière Snowdon du zoo de Londres, dessinée en 1961 par l’architecte Cedric Price. Non loin, en revanche, se déploie une étonnante serre semi-cylindrique de 4 000 m2 et 16 m de hauteur, la pièce maîtresse du parc. À l’intérieur, le visiteur découvre, entre autres, quelque 3 800 végétaux tropicaux et une trentaine d’espèces d’oiseaux, des boas et des piranhas, des tamarins à mains rousses, et enfin, dans un gigantesque aquarium, un monumental et paisible lamantin.
1931
Ouverture d’un grand parc zoologique provisoire à l’occasion de l’Exposition coloniale qui se tient dans lebois de Vincennes
1934
Création du Parc zoologique de Paris
1994
Inauguration du Grand Rocher après sa fermeture pour rénovation en 1982
Novembre 2008
Fermeture du parc au public
12 avril 2014
Réouverture du Parc zoologique de Paris après deux ans de travaux
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Ces animaux qui cachent les zoos
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Abonnez-vous dès 1 €Deux livres de Bernard Tschumi et Véronique Descharrières, parus aux Éditions d’art Somogy, racontent le projet architectural du nouveau Parc zoologique de Paris, qui a ouvert le 12 avril.
1. Architecture Zoo, Somogy, 160 p., 150 ill., 29 €.
2. Zoo, la métamorphose, Somogy, 144 p., 120 ill., 29 €.
Parc zoologique de Paris
53, avenue Saint-Maurice, Paris-12e. Ouvert de la mi-mars à la mi-octobre de 10 h à 18 h en semaine et de 9 h 30 à 19 h 30 le samedi et dimanche, jours fériés et vacances scolaires (toutes zones), et de la mi-octobre à la mi-mars de 10 h à 17 h. Tarifs : 22 et 16,5 €.
www.parczoologiquedeparis.fr/fr
Légende photo
Les girafes du zoo de Vincennes dans leur nouvel enclos dessiné par Bernard Tschumi et Véronique Descharrières de l'agence BTuA © Photo : F.-G. Grandin/MNHN
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Ces animaux qui cachent les zoos