Art contemporain

Ce que le sida leur a fait

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2023 - 579 mots

PARIS

Le Palais de Tokyo met en lumière l’impact de l’épidémie sur les artistes. Un dialogue émouvant entre les œuvres des morts et celles des vivants.

Paris. Le début du parcours frappe fort : il n’y a pas d’entrée définie dans l’exposition. Elle s’ouvre dans la rotonde centrale avec une installation de Lili Reynaud-Dewar (née en 1975). De grands rideaux imbibés de teinture rouge encerclent un espace où l’artiste exécutera des performances inspirées par une conférence sur le sida. À la fois contemporaine et rétrospective, cette installation résume le choix du commissaire François Piron : « Éviter tout discours catégorisant, et privilégier le télescopage des œuvres ». Car ce sont les œuvres seules qui donnent forme à l’exposition (inspirée par le livre d’Élisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle), par leur diversité et leur rapport aux années 1990 et 2000. François Piron précise qu’il a intégré peu d’archives, pour « privilégier l’émotionnel », et se distinguer de l’exposition du MuCEM de 2022.

Sans chronologie donc, les œuvres se trouvent à nu, d’autant que le commissaire a limité la contextualisation en pariant sur « leur polysémie ». Certaines parlent d’elles-mêmes effectivement, telle l’installation de George Tony Stoll (né en 1955) ; d’autres nécessitent une médiation comme les œuvres du collectif lesbien Fierce Pussy, où le minimalisme apparent cache des enjeux sociaux et politiques. Quelques grands noms de l’art contemporain servent de balises, tels Michel Journiac (1935-1995), Derek Jarman (1942-1994), Nan Goldin (née en 1953) et Santu Mofokeng (1956-2020) mais, en l’absence de parcours imposé, la visite devient une déambulation teintée de mélancolie. Car les œuvres choisies évoquent avant tout l’absence et la disparition, et les artistes et intellectuels décédés du sida, comme Hervé Guibert, Derek Jarman, Felix Gonzalez-Torres. Du « Rituel de transmutation » de Journiac aux photographies de Nan Goldin, c’est le vide laissé par les morts qui domine, au risque de transformer l’exposition en mémorial autoréférent.

Sida et Covid-19, maladies sociales

Cet écueil est évité grâce à des œuvres plus faciles d’accès, voire humoristiques comme les « bestioles » de Bruno Pelassy en fourrure synthétique qui prolifèrent comme des bactéries. L’ouverture vers le continent africain apporte aussi une lecture plus limpide, par les œuvres de Santu Mofokeng, Régis Samba Kounzi (né en 1969) et Julien Devemy (né en 1976). De même, les reproductions d’autoportraits de femmes sud-africaines du Bambanani Women’s Group parlent-elles plus directement aux visiteurs : ces « cartes corporelles » peintes sur papier explorent avec vivacité les stigmates physiques et sociaux laissés par le VIH et le sida.

François Piron précise qu’il y a « une porosité entre les maladies biologiques et les maladies sociales », un aspect redevenu central dans la société avec la crise du Covid-19. L’exposition ne propose pas vraiment de parallèle avec d’autres maladies, jouant plutôt sur les liens évidents que feront les visiteurs avec le Covid-19. Le commissaire a préféré évoquer des expositions ou des œuvres plus anciennes, comme l’intervention de Zoe Leonard (née en 1961) à la Documenta de 1992. L’artiste avait affiché des photographies de sexes féminins dans une exposition de tableaux du XVIIIe et XIXe siècles. Au Palais de Tokyo, elle a disséminé ces mêmes photographies dans l’exposition parisienne, mais « sans dire où elle voulait les mettre », explique François Piron.

Selon leur âge et leur expérience personnelle, l’exposition parlera différemment aux visiteurs, mais celles et ceux qui ont vécu « le bordel » –  selon les mots du commissaire – qu’étaient les débuts du sida seront plus touchés par ce regard sensible sur une épidémie encore active.

Exposé·es,
jusqu’au 14 mai, au Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°608 du 31 mars 2023, avec le titre suivant : Ce que le sida leur a fait

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