ART ENGAGÉ. Plus de trente ans après, qui connaît le combat mené par des graphistes, des plasticiens, des photographes, des performeurs pour faire connaître les ravages du VIH/sida, qui commençait à faucher une génération d’individus, dont tant d’entre eux ? Les progrès de la médecine, la découverte en 1996 des trithérapies ont sauvé nombre de vies et ont fait oublier qu’à cette époque « on vivait en sida », comme l’écrivait William Haver, constat qui ne concernait pas seulement ceux frappés par l’épidémie.
C’est le mérite de l’ouvrage d’Élisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait, art et activisme à la fin du XXe siècle (1), à juste titre récompensé par le prix Pierre-Daix. Rappeler et souligner l’engagement d’individus, de collectifs pour mettre au grand jour cette maladie honteuse, ce « cancer gay », afin de forcer les pouvoirs publics à déployer, enfin, des moyens contre la pandémie. Le livre est écrit à la première personne, car l’auteure, historienne de l’art et enseignante à l’École des hautes études en sciences sociales, après avoir été critique d’art (à Libération et Beaux-Arts Magazine, notamment), est aussi témoin et actrice de l’époque pour avoir étudié à New York au début des années 1980 puis rejoint Act Up-Paris dans les années 1990. Elle a ainsi remanié des articles qu’elle avait écrits autrefois. Bien que l’ouvrage s’appuie sur des faits précis, sur des documents, il ne se lit pas comme une somme définitive sur le sujet, mais comme un récit personnel, où histoire et subjectivité se mêlent. Il n’est pas non plus une histoire chronologique. La chronologie est reléguée volontairement à l’extérieur du livre imprimé. Chacun peut consulter gratuitement ses 27 pages (1981-2017), organisées par catégories : recherches et santé, événements aux États-Unis, en France, dans le monde… sur l’adresse Internet : cequelesidamafait.com.
Le sida n’avait pas de représentation et l’invisibilité conduisait à la mort. C’est le collectif Gran Fury qui engage le combat en collant dans Manhattan des stickers proclamant : SILENCE = DEATH (Silence = Mort). La typographie est percutante, en majuscules, blanc sur fond noir. Le triangle rose, porté par les détenus homosexuels des camps nazis, est renversé. Il devient symbole de vie. Act Up s’appropriera l’image et en fera son étendard. L’ouvrage montre que l’art du sida a souvent été un réemploi d’images existantes. Ainsi, General Idea détourne la célèbre sculpture de Robert Indiana, Love (1970), en AIDS.
Le « temps sida » conduit aussi des artistes à modifier leur esthétique. L’éphémère, l’urgence, le non-fini deviennent des enjeux de survie et de création. Le corps est un sujet pour des performances. Activisme, maladie subie, puis intégrée dans une pratique artistique, se rejoignent en devenant des cris de vitalité. Élisabeth Lebovici revisite ainsi, avec des images et des analyses, des figures comme Keith Haring, Felix Gonzalez-Torres, Nan Goldin, Roni Horn, mais souligne également la singularité des Richard Baquié, Alain Buffard, Zoe Leonard, Mark Morrisroe, Lionel Soukaz, Philippe Thomas, David Wojnarowicz… et bien d’autres. Après le combat contre l’invisibilité, celui contre l’oubli est salutaire.
Le livre montre aussi que ce combat a sans doute été mené plus aux États-Unis - à New York et San Francisco - qu’à Paris. Il souligne aussi la cruelle absence des institutions publiques, musées, centres d’art, très lentes à réagir. En 1987, le New Museum de New York était bien seul à offrir sa vitrine.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Ce que le sida nous dit
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Ce que le sida nous dit