LE HAVRE
Puisant dans son fonds graphique, le Muséum du Havre y mêle des créations contemporaines pour sensibiliser le visiteur à la culture vivante de l’île-continent.
Le Havre. Le 19 octobre 1800, deux navires, Le Géographe et Le Naturaliste, affrétés à la demande du Premier consul Napoléon Bonaparte, quittent Le Havre en direction de l’Australie. À leur bord, plus de deux cents hommes : le commandant Nicolas Baudin, des officiers, des hommes d’équipage, des savants et des dessinateurs. L’objectif du « Voyage aux terres australes » ? Finaliser la cartographie complète des côtes sud de l’Australie, réaliser un inventaire des animaux, végétaux et minéraux, et décrire les populations rencontrées. Au sein de l’équipe de l’expédition scientifique figure un jeune Havrais de 21 ans, Charles Alexandre Lesueur, un des deux dessinateurs officiels de l’expédition aux côtés de Nicolas Martin Petit. Peintre voyageur, doublé d’un savant, Lesueur a laissé au Havre plus de 4 500 dessins effectués lors de ses périples à travers le monde. Ce sont ses dessins et manuscrits et ceux de Nicolas Martin Petit – 217 au total dont des dessins naturalistes et des portraits d’aborigènes – qui dialoguent dans l’exposition du Muséum du Havre avec des objets d’art aborigène et des œuvres commandées à des populations locales et à des artistes.
Le fonds de l’expédition Baudin, d’une grande qualité graphique, constitue un formidable état des lieux de l’Australie du tout début du XIXe siècle. Il dépeint la rencontre entre deux civilisations : Occidentaux et peuples aborigènes, ces derniers nommés les « sauvages » ou les « naturels » en raison de leur proximité avec la nature. C’est la dernière expédition en date à témoigner des traditions culturelles de ces populations avant qu’elles ne soient disséminées par les déportations dans les plantations du sud de l’île-continent ou décimées par les maladies. La transmission orale de leur culture ayant été ainsi interrompue, ces populations ont tenté de se réapproprier leurs savoirs anciens et techniques de fabrication oubliées, notamment en prenant appui sur les dessins de l’expédition Baudin. Des paniers en joncs ou en algues, des colliers de coquillages et autres bâtons de chasse sont désormais à nouveau fabriqués par les populations de Tasmanie, et les savoirs transmis aux générations suivantes.
Charles Alexandre Lesueur a dessiné des centaines de poissons, observés de 1800 à 1804, lors des quatre années de l’expédition. Selon Guillaume Lecointre et Samuel Iglésias, spécialistes des poissons et de la classification au Muséum national d’histoire naturelle, la grande majorité de ceux qui ont été dessinés par Lesueur au début du XIXe siècle seraient toujours présents dans les mêmes zones deux cents ans plus tard.
On reste dans l’univers marin avec cette gracieuse Baleine Kondoli (420 x 150 cm) réalisée en fibres végétales par Aunty Ellen Trevorrow, une Ngarrindjeri, nation d’Australie-Méridionale. Plusieurs autres aînés – des personnes incarnant les valeurs, l’histoire et l’actualité de leur communauté – ont exécuté des œuvres pour l’exposition. Trois artistes plasticiennes ont été également mises à contribution. Ainsi d’Emmelene Landon qui expose deux grandes toiles saisissantes dont Terre rouge et Pantu : lac de sel jouant sur de violents contrastes de couleurs. « Pour penser la Terre, penser notre vie sur la Terre, les peuples australiens, sur place depuis plus de 60 000 ans, ont bien des choses à nous apprendre », insiste-t-elle.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Australie d’hier et d’aujourd’hui