Échange, communication et tolérance sont les mots de l’œuvre polymorphe qu’a constituée A.R. Penck et qui accorde à l’écriture une place de prédilection.
Intitulée Le Passage, montrant la silhouette d’un homme marchant sur une planche qui brûle, simplement posée au-dessus d’un fossé, la peinture que Penck a brossée en 1963, à l’âge de 24 ans, est éminemment emblématique de toute son histoire. Bras tendus comme pour s’assurer de son équilibre, cette figure aux grosses mains et au sexe arqué traverse le tableau de l’Est vers l’Ouest comme pour illustrer le destin à venir du peintre. Si le fond en appelle encore à des effets plastiques de touches gestuelles et de vibrations colorées, la figure humaine se réfère quant à elle à un vocabulaire universel venu du fond des âges.
Le Standart ou : soi, le monde, la liberté et ses limites
Auteur d‘une quantité d’articles et d’essais à caractère scientifique, politique et esthétique, Penck s’est toujours montré féru de cybernétique, du moins au sens où il l’entend, à savoir la science de la communication et des signaux. Le concept du Standart qu’il développe dans les années 1970 – de l’allemand stehen : être debout, se dresser – « incarne l’affirmation de soi et tout ensemble le geste du “je me rends” », note le critique d’art Dieter Koepplin qui poursuit : « Est mise à l’épreuve l’attitude de la “liberté” au sein d’un monde accepté avec ses facteurs limités et limitants. » Soi, le monde, la liberté et ses limites : ce sont là les vecteurs directeurs de toute l’œuvre de l’artiste au regard d’une biographie particulièrement chargée.
Dans l’esprit de A.R. Penck, le concept et le programme du Standart ont pour objectif de transcender les conflits fondamentaux qui opposent des notions comme le bon et le mauvais, le juste et le faux, l’Est et l’Ouest, etc. – et pourquoi pas le Nord et le Sud ? –, par l’acceptation de l’équivalence.
Autour de 1970, l’artiste réalise toute une quantité de dessins qui sont souvent de simples assertions qui en disent long sur sa philosophie. Aux formules comme « être sous la contrainte », « afficher une attitude », « engendrer des idées », « produire un signal », « élargir les frontières », « ouvrir de nouveaux espaces », etc., font écho toutes sortes de notes graphiques qui mêlent figures humaines, représentations cosmiques, dessins démonstratifs, etc. Quelque chose comme les planches d’une encyclopédie universelle dont les motifs iconiques se retrouvent de tableau en tableau.
Un discours qui n’en finit plus de se dérouler d’une œuvre à l’autre
Peintes en 1970-1972, les deux figures intitulées Standart, aux allures d’un bonhomme, bras levés, les deux mains aux trois doigts écartés, doivent autant à Paul Klee qu’à Louis Soutter. On les retrouve au fil du temps, ici et là dans le coin d’un tableau ou en figure principale, dans des postures plus ou moins semblables, que ce soit dans Rencontre (1976), Est ou Ouest (1980), Quo vadis Germania (1984) et Homme mouvement (1998) par exemple. Envahies par un flot plus ou moins mélangé et pétri de signes noirs sur fond blanc, elles constituent le fil rouge d’un discours qui n’en finit plus de se dérouler d’une œuvre à l’autre. Chacune paraît ainsi n’être que le fragment d’une interminable fresque et l’œuvre dans son ensemble peut être appréhendée, ainsi que l’avait noté Fabrice Hergott voilà plus de vingt ans, « comme une sorte de bibliothèque borgésienne où toutes les choses possibles sont rassemblées dans un ordre incertain ».
C’est que l’art de A.R. Penck est requis par l’écriture. L’importance que l’artiste accorde à ce que l’on nomme « la réserve » en est un signe. De fait, le peintre use tout particulièrement des effets de silhouette en ne recouvrant jamais de couleur la totalité de la surface de la toile, laissant de la sorte les formes jouer à contre-jour avec le fond. Ce qui excède leur densité. S’il use d’une couleur pour le fond, elle est toujours claire, comme dans Événement à New York 3 (1983), à moins qu’il ne dessine ses figures en négatif, les réservant sur un fond uniment noir. Dans tous les cas, Penck s’applique à bien distinguer la forme du fond et ses peintures s’offrent à voir comme une projection sur écran.
Par ailleurs, à l’instar des peintures archaïques, tout y est traité en surface dans une radicale affirmation du plan de la toile. Tout effet de profondeur étant aboli, Penck suggère l’idée d’éloignement ou de proximité en jouant de différences d’échelles entre les divers éléments qui composent ses tableaux. Aussi se « lisent-ils » comme des pages illustrées comportant différentes plages narratives, la dynamique et le rythme de son écriture assurant à l’ensemble son unité. Éloge du palimpseste, en quelque sorte.
Informations pratiques. « A.R Penck, de l’Est à l’Ouest », jusqu’au 11 mai 2008. Commissariat : Odile Burluraux. Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, Paris XVIe. Métro Iéna. Tarifs : 7 et 5,50 euros. www.mam.paris.fr Du signe au graffiti”‰: Keith Haring. Entre peinture primitive presque rupestre et art de la rue, Penck a été le précurseur d’artistes tels que Keith Harring à qui le musée d’Art contemporain de Lyon consacre, jusqu’au 29 juin, une rétrospective. Le travail de Harring se caractérise par une ligne continue, qui devient contour puis symbole graphique, voire ornement, tour à tour drôle, caustique ou oppressant. Ses dessins s’installent dans le métro, envahissent le paysage urbain, diffusant son œuvre vers plus grand nombre (lire le prochain n° de L’œil). www.moca-lyon.org
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A.R. Penck, la figure de l’écrit
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Abonnez-vous dès 1 €Fabrice Hergott, commissaire de l’exposition
Au regard du néo-expressionnisme allemand, qu’est-ce qui fait la singularité de l’œuvre de Penck”‰?
Dès la fin des années 1950, il a mis en place un langage plastique personnel traitant de l’histoire à travers l’histoire de l’art. Il est à l’origine de la création d’une forme de graffiti à grande échelle qui a servi plus ou moins consciemment de modèle à une génération cadette.
En quoi son art est-il expressif”‰?
Si sa lecture de l’expressionnisme le rapproche d’artistes comme Gauguin ou Van Gogh, son langage plastique est en rupture avec l’histoire douloureuse du xxe siècle.
Sa peinture ne parle pas de trauma”‰; c’est une peinture qui est relativement optimiste.
Quel est le thème de sa démarche”‰?
C’est une peinture de l’union et de la rencontre entre les hommes et le monde. Entre l’Est et l’Ouest. Des peintres de l’Allemagne de l’Est, il est celui qui a choisi d’y rester le plus longtemps parce qu’il pensait qu’une entente serait possible.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°601 du 1 avril 2008, avec le titre suivant : A.R. Penck, la figure de l’écrit