AMIENS
Dans le cadre des 25es Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens, le Musée de Picardie revisite ses collections permanentes d’archéologie à travers le prisme de la BD.
Amiens. Dans un futur indéterminé, la glace a recouvert les vestiges de l’humanité. Un homme, chaudement couvert, s’adresse à son compère : « Tu déconsidères sa valeur en le portant à tous les vents. Quand on a peu d’éléments, il faut les garder précieusement. Ce sont des données scientifiques, pas des décorations ! » L’objet du litige ? Un badge bleu, frappé d’un « Droit au but » et d’un « O » et d’un « M » mystérieusement entrelacés… Dans Période glaciaire (Futuropolis, 2005), Nicolas de Crécy représente des archéologues du futur, exhumant les vestiges de notre présent et questionnant notre rapport à la transmission. Ce sont les planches de cet ouvrage qui ouvrent le parcours de l’exposition « Chasseurs de trésors. Archéologie et bande dessinée ».
Pour la directrice du Musée de Picardie, Laure Dalon, il s’agissait de « nouer un dialogue entre BD et les collections du musée, tout en menant une réflexion sur l’archéologie, et l’archéologie à Amiens en particulier ». En partenariat avec le Louvre, après l’exposition « L’archéologie en bulle » (Petite Galerie, 2018-2019) et l’association On a marché sur la bulle, le musée amiénois s’est réapproprié le propos en l’adaptant à ses collections et à son environnement.
Contrairement à l’exposition du Louvre, celle-ci vient se superposer au parcours permanent des collections archéologiques en sous-sol, comme un calque venu mettre en lumière des aspects de ces objets, par l’angle inédit de la BD et souligner les points de passage entre 9e art et archéologie. Car entre raconter des histoires et raconter l’Histoire, il n’y a qu’un pas, avec le dessin pour médium commun : planches de BD côtoient ainsi dessins d’interprétation scientifiques et relevés de fouilles, avec des perméabilités.
L’archéologie demeure un réservoir de sujets pour les auteurs de BD, certains ayant même accompagné des fouilles comme Sylvain Savoia, qui témoigne du travail des archéologues et propose son interprétation sur la survie des esclaves échoués sur une île au milieu du Pacifique au XVIIIe siècle, dans son album Les Esclaves oubliés de Tromelin (Dupuis, 2015).
La réussite de l’exposition tient en ce qu’elle multiplie les points de vue, ne se contentant pas d’un répertoire un peu facile de bandes dessinées traitant de sujets archéologiques. Elle propose une véritable réflexion sur le médium, questionnant le décalage entre le fantasme et la science. Elle s’empare aussi de certains poncifs : l’imaginaire de la momie ; la figure de l’archéologue, tantôt hurluberlu, tantôt savant bourgeois ; la quête des reliques et surtout du trésor.
C’est notamment sur la relativité de cette notion de « trésor » et sa construction à travers le prisme de l’archéologie que les commissaires ont choisi de s’arrêter. Le prêt par le Louvre d’une partie du trésor d’orfèvrerie de Boscoreale donne l’idée de préciosité contrairement au dépôt monétaire archéologique, loin de l’image du coffre débordant de pièces scintillantes véhiculée dans certaines bandes dessinées. Et le trésor d’un musée, c’est sa collection, parfois constituée d’objets communs qui sont aujourd’hui de véritables reliques. Les planches de BD elles-mêmes, absentes des collections à Amiens, pourraient en faire partie… tout comme, un jour, peut-être, un badge de l’OM.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : À Amiens, la bande dessinée puise dans l’archéologie