Le monde de l’art bruisse à nouveau du nom de cette artiste polonaise, décédée en 1973, dont on avait oublié jusqu’à l’existence.
Comment Alina Szapocznikow (1926-1973), une artiste totalement oubliée hors de sa Pologne natale, est-elle revenue si soudainement sur le devant de la scène artistique internationale et du marché de l’art ? Après être passée par Bruxelles [lire L’œil n° 640], Los Angeles et Columbus (Ohio), une très convaincante rétrospective, « Sculpture Undone », vient en effet de s’achever au MoMA à New York. Une exposition de dessins est actuellement programmée au Centre Pompidou. Et certaines œuvres de Szapocznikow dépassent aujourd’hui le million d’euros.
Affaire de famille
Plusieurs paramètres étaient réunis pour rendre possible une telle résurrection : d’abord l’indéniable qualité et vivacité de ses sculptures et de ses dessins, et un nombre suffisant d’œuvres encore disponibles sur le marché. Le corpus de l’œuvre est de l’ordre de quatre cents sculptures – dont quatre-vingts disparues – et de sept cents dessins. Mais le plus important fut la mobilisation passionnée de quelques personnalités obstinées.
Le premier à s’être battu pour défendre la mémoire d’Alina Szapocznikow est son fils unique, Piotr Stanislawski. En 1985, il gagne un procès contre Roman Cieslewicz, célèbre graphiste et second mari de sa mère, et devient l’unique héritier et détenteur du droit moral sur l’ensemble de l’œuvre d’Alina. Il se consacre depuis avec entêtement à la reconnaissance de sa mère, avec maintenant la complicité d’Hervé Loevenbruck, un galeriste parisien fervent défenseur de la jeune scène française contemporaine, plusieurs fois « récompensé » par le prix Marcel Duchamp, qui découvrit l’œuvre de Szapocznikow par le plus grand des hasards puisqu’elle lui fut présentée par Arnaud Labelle-Rojoux, un artiste de sa galerie qui se trouve être le frère de la femme de… Piotr Stanislawski !
De l’oubli…
Passée aux oubliettes de l’histoire de l’art avant de ressurgir avec fracas aujourd’hui, l’œuvre d’Alina Szapocznikow ne sort pas de nulle part. La vie mouvementée de l’artiste fut riche en séquences tragiques.
Née en Pologne dans une famille juive aisée non pratiquante, elle est enfermée dans des ghettos dès 1940, puis déportée à Auschwitz, Bergen-Belsen et Terezín. Elle survit, gagne Prague en 1945, où elle s’initie à la sculpture sur pierre, puis Paris en 1947 pour suivre des cours à l’École supérieure des beaux-arts. Alina Szapocznikow est atteinte en 1949 de tuberculose péritonéale, maladie sans traitement à l’époque.
De retour en Pologne en 1951, elle devient rapidement une artiste reconnue. Elle accepte de nombreuses commandes du gouvernement, dont un prestigieux monument à l’amitié soviético-polonaise, est invitée aux principales expositions d’art contemporain et participe à la 31e Biennale de Venise en 1962.
C’est donc une artiste ayant une réelle notoriété dans son pays natal qui décide de s’installer à Paris fin 1963 avec son fils, Piotr, et son second mari, Roman Cieslewicz, futur auteur des mythiques catalogues des expositions du Centre Pompidou « Paris-Berlin » et « Paris-Moscou ».
Très vite, le travail d’Alina est remarqué et apprécié dans la capitale française. Marcel Duchamp lui rend visite dans son atelier. Elle participe à de nombreuses expositions aux côtés d’artistes comme Roland Topor, Christian Boltanski, Annette Messager, Arrabal, Arman, César, Spoerri, Niki de Saint Phalle… avant de décéder prématurément d’un cancer du sein à l’âge de 47 ans. Deux mois plus tard, le critique Pierre Restany lui consacre une exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Puis, tandis que ses amis artistes poursuivent leur ascension vers une reconnaissance toujours plus importante, son souvenir s’estompe rapidement dans le pays dont elle avait pris la nationalité et où elle a réalisé la part la plus dense et la plus novatrice de son œuvre.
… à la seconde consécration
Son pays natal, en revanche, jamais ne l’oubliera. Son ex-mari, Ryszard Stanislawski, à l’époque à la tête du Muzeum Sztuki de Łódz, organise en 1975 une rétrospective qui tiendra l’affiche avec succès dans huit villes de Pologne. En 1998, une importante exposition à la Galerie nationale d’art Zacheta à Varsovie change les grilles de lecture de son œuvre. Les lignes commencent alors à bouger. L’émergence des courants féministes renouvelle le regard sur le travail des artistes femmes. « C’est à la Kunsthalle de Bâle en 2004, lors de l’exposition « La chair et la guerre » où figuraient des œuvres de Szapocznikow de première importance, puis en 2007 à la Documenta 12 de Cassel que débute véritablement la redécouverte du travail de Szapocznikow hors de Pologne », évoque Hervé Loevenbruck, aujourd’hui galeriste dépositaire du fonds de l’artiste. Ursula Hauser, fondatrice de la puissante galerie Hauser & Wirth, présente Szapocznikow dans son espace londonien en 2009. La galerie de Cologne Gisela Capitain vend également de très belles pièces à de prestigieux collectionneurs.
En cinq ans, les prix ont été multipliés par trois ou quatre, parfois beaucoup plus pour des pièces de grande qualité. Des dessins qui valaient 6 000 ou 8 000 euros il y a cinq ans trouvent preneur à 30 000 ou 40 000 euros, un bronze de 1966 (tiré à sept exemplaires) était proposé 550 000 euros à la dernière Fiac. Et Piotr a cédé en 2012 pour 2,2 millions d’euros une pièce exceptionnelle, l’Autoportrait en marbre.
Pour la première fois depuis 1973, une institution française organise une exposition personnelle de l’artiste. « Alina Szapocznikow, du dessin à la sculpture » réunit au Cabinet d’art graphique du Centre Pompidou à Paris près de cent œuvres sur papier accompagnées de quelques sculptures. Quarante ans après sa disparition, Alina Szapocznikow accède enfin au panthéon des artistes femmes les plus remarquables de la seconde moitié du XXe siècle, aux côtés d’Eva Hesse et de Louise Bourgeois.
« Alina Szapocznikow, du dessin à la sculpture »,
Centre Pompidou, Galerie d’art graphique, Paris-4e, du 27 février au 20 mai 2013, www.centrepompidou.fr
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Alina Szapocznikow - Histoire d’une redécouverte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°655 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Alina Szapocznikow - Histoire d’une redécouverte