Bruxelles

Une révélation radicale

Le Wiels déploie brillamment toute l’inventivité d’Alina Szapocznikow

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 611 mots

BRUXELLES - C’est une très enthousiasmante renaissance que propose cet automne le Wiels, centre d’art contemporain de Bruxelles, avec la rétrospective d’Alina Szapocznikow (1926-1973). Le fait qu’il s’agisse d’une redécouverte souligne à quel point les mécanismes de la mémoire sont versatiles.

Comment une œuvre visuellement si prégnante, mariant à la fois expérimentation de la matière et innovation formelle, a-t-elle pu être mise en sommeil si longtemps, particulièrement en France où cette juive polonaise avait élu domicile en 1963 ? Elle y côtoya l’« intelligentsia » des arts de l’époque, proche de figures tels le critique d’art Pierre Restany ou les artistes Christian Boltanski et Annette Messager ; elle correspondit avec Marcel Duchamp qui recommanda son travail, ainsi qu’en atteste la correspondance visible dans des vitrines. Elle y eut les honneurs du Musée d’art moderne de la Ville de Paris dans des accrochages de groupe, mais aussi dans une exposition personnelle en 1973, quelques mois après sa mort.

Avec un rassemblement d’environ 120 œuvres, sculpturales pour l’essentiel mais graphiques également, l’institution bruxelloise frappe un grand coup, seule étape européenne d’un parcours qui la conduira au Museum of Modern Art à New York, au Hammer Museum à Los Angeles et au Wexner Center for the Arts de Columbus, Ohio.

Corps périssable
L’exposition débute en 1955, une date charnière dans le parcours de l’artiste, la fin du stalinisme mettant un terme à l’obligation d’œuvrer dans l’esthétique du réalisme socialiste. Szapocznikow libére alors rapidement son vocabulaire plastique centré sur le modèle corporel. Son questionnement tient dans la sortie d’un classicisme jusque-là imposé, une esthétique à subvertir radicalement. Une œuvre de transition de 1956, Difficult Age, montre ainsi un corps féminin en bronze qui tente d’acquérir une forme d’autonomie en regard des canons.

La voie expérimentale empruntée passe par une nouvelle figuration, singulière, hybride et très organique, faite de déformations, de décompositions et de déséquilibres. Les fragments corporels s’agrègent à l’objet industriel (un incroyable Goldfinger [1965], fait de ciment et de pièces de voiture, le tout passé à la peinture dorée), avant de se muer en des constructions de plus en plus contre-nature. Elles sont constituées de seins agglomérés mêlés à des effigies (La Madonne de Kruzlowa, 1969), de fragments de visages telles ces bouches devenues lampes dans une analogie avec la fleur (Lampe-bouche, v. 1966) ou cette autre offerte dans une coupelle (Petit dessert I, 1970-71)…

Tout cela accrédite l’idée d’un corps périssable et sans limites définies, ce qui n’est en rien anodin dans les années 1960. En moulant son propre corps, point de départ à ses compositions ; en usant de techniques et matériaux nouveaux pour l’époque, telles la mousse de polyuréthane et la résine polyester, l’artiste s’astreint à renouveler sans cesse une précarité des formes autant que de la méthode.

Un tournant se produit à la fin des années 1960. Le vocabulaire se fait plus raide et incisif, l’informe gagne du terrain, le noir apparaît, notamment dans des travaux aux références très appuyées à la Shoah, pas étonnantes pour qui est passé par le camp de Bergen-Belsen pendant la guerre. La sculpture semble devenir malade, dans un effet de mimétisme avec sa propre condition de femme diminuée par un cancer du sein. Des corps apparaissent totalement aplatis. Et Szapocznikow de mettre en scène son devenir inéluctable, L’Enterrement d’Alina (1970), dans un saisissant amas corporel englué dans de la gaze. Radicale jusqu’au bout !

ALINA SZAPOCZNIKOW. SCULPTURE UNDONE. 1955-1972

Commissaires : Elena Filipovic, commissaire indépendante ; Joanna Mytkowska, Musée d’art moderne de Varsovie
Nombre d’œuvres : 120

Jusqu’au 8 janvier 2012, Wiels, av. Van Volxem 354, Bruxelles, tél. 32 2 340 00 50, www.wiels.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-18h. Catalogue, coéd. Fonds Mercator/Wiels, 216 p., 35 €, ISBN 978-90-6153-329-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Une révélation radicale

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