ARLES / FRANCE
Arles. Alfred Latour (1888-1964) avait disparu des radars.
Célèbre et célébré en son temps, le graphiste, graveur, peintre, illustrateur, relieur, affichiste et designer de tissu qu’il fut ne mobilisait plus guère que la Fondation Alfred Latour créée à Fribourg en 2004 et les membres de l’Association des amis d’Alfred Latour (Paris). C’est de Suisse que vient l’exhumation de son travail de photographe montré pour la première fois au Musée Réattu. Une exposition à mettre en regard avec celle présentée à Eygalières (Maison des consuls, jusqu’au 30 septembre) dans les Alpilles où l’artiste décida de s’installer en 1932. Une exposition qui n’est par ailleurs pas étrangère aux fonctions de son fils aîné, Jacques Latour, au sein du musée. Premier conservateur des musées de la Ville d’Arles, celui-ci œuvra en effet à sa restauration et à l’enrichissement de ses collections en art contemporain de 1948 jusqu’à sa mort prématurée en 1956.
Depuis le mois d’avril, expositions et ouvrages ont ramené à la lumière l’œuvre et la personnalité de cet artiste rétif au marché et au milieu de l’art parisien. De leur investigation dans le fonds photo, le graphiste Werner Jeker et le commissaire d’exposition et éditeur Pierre Starobinski ont ainsi rappporté des reportages totalement méconnus réalisés au cours des années 1930 pour l’agence de presse Meurisse. L’artiste en figure de photoreporter envoyé couvrir des scènes ordinaires de la vie parisienne imprime sa vision. Terrasses de café, bords de Seine, marchés constituent des lieux privilégiés. Des sujets plus politiques s’immiscent comme celui sur L’Ami du peuple, journal antisémite d’extrême droite fondé par le parfumeur François Coty en 1928 et tiré à plus de un million d’exemplaires.
Dans ses prises de vue, ses angles et ses cadrages, Alfred Latour se révèle un photographe parfois aussi pertinent que ses contemporains passés à la postérité. L’œil du graphiste sensible aux lignes et aux formes se retrouve dans les images. Ses photographies de vitrines ou de petits métiers témoignent de l’influence d’Eugène Atget, celles des premiers congés payés, son empathie pour les ouvriers. Les photographies réalisées par la suite à Eygalières ou ailleurs tranchent avec cette période. Le champ de vision se resserre sur un tronc d’arbre, les traces d’un pneu, un détail de mur, un objet suspendu ou une ouverture de fenêtre ou de porte. L’épure des lignes, les jeux d’ombre et de lumière renforcent leur présence, renvoient aux dessins ou peintures. La photographie devient carnet de notes ou journal intime de son rapport à la nature, aux objets et à ses proches.
Le travail sur le fonds de photographies d’Alfred Latour ne fait que commencer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : Alfred Latour révélé