Art contemporain

RENCONTRE

Thomas Lévy-Lasne, un artiste à contre-courant

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2024 - 1095 mots

Diplômé des Beaux-Arts, commissaire d’exposition...Thomas Lévy-Lasne est un peintre engagé, toujours à la rencontre d’autres artistes contemporains.

Paris. La première fois que l’on a rencontré Thomas Lévy-Lasne, il était en résidence à la Fonderie Darling, à Montréal. Bien que sa silhouette de Viking semblât s’accorder parfaitement au climat de l’hémisphère nord, l’artiste confiait trouver l’hiver canadien long et rigoureux. Confiné avant l’heure, il s’était concentré sur une série de scènes de spectacles au fusain (exposée en septembre 2020 dans sa nouvelle galerie, Les Filles du Calvaire). On le retrouve cette fois au cœur de l‘été parisien, attablé dans un café du 9earrondissement devant un Coca zéro, à quelques semaines de l’événement qu’il a imaginé avec le Musée d’Orsay, « Le Jour des peintres ». L’idée est de rassembler 80 peintres de la scène française aux côtés d’une de leurs toiles, accrochée spécialement à cette occasion parmi les collections du musée, dans l’espoir d’une rencontre avec le public.

C’est, à bien y réfléchir, l’aboutissement d’un long processus. Tout, chez Thomas Lévy-Lasne, tourne en effet autour de la peinture. La sienne, celle des maîtres qu’il a beaucoup regardées (de Titien à Picasso, en passant par Rembrandt, Philippe de Champaigne, Chardin…), et enfin celle de ses contemporains, qu’il promeut activement, notamment à travers sa chaîne YouTube « Les Apparences ». Artiste doué, il s’est fait connaître au milieu de la décennie 2010 avec des aquarelles représentant des soirées parisiennes, saisies à la façon d’instantanés. Quelques-unes furent publiées sous la forme d’un petit livre, accompagnées d’une fiction du romancier Aurélien Bellanger (La Fête, 2017). Les deux quadragénaires se connaissent bien, et Thomas Levy-Lasne déplore parfois que le succès de son ami ait davantage de retentissement que sa propre notoriété de peintre. L’époque est ingrate avec les Beaux-Arts.

La Picardie, un lieu de recueillement à la pratique de sa peinture

Tournant le dos aux mondanités, il s’était ensuite retiré en Picardie pour se consacrer à son œuvre. Sa résidence canadienne avait prolongé cet isolement propice au travail de l’atelier, dont il a fait le sujet d’un court-métrage, Le Collectionneur, avec Benoît Forgeard dans le rôle-titre (2016). Détail amusant, ce petit film allégorique cite Justine Triet à son générique, dans les remerciements : « Thomas Lévy-Lasne a collaboré au scénario du long-métrage Victoria de la cinéaste ». Ayant choisi de « rejouer le jeu du réel avec la peinture », il se consacre désormais à des sujets graves touchant à « la question de la représentation de la fin du monde, du tragique, du mal invisible, de la pollution et du réchauffement climatique… ». Vaste programme de lendemain de fête.

L’amour inconditionnel pour la peinture de Thomas Levy-Lasne s’est forgé dans l’adversité : il s’est même heurté, alors qu’il était élève aux Beaux-Arts de Paris, à ce qu’il dénonce aujourd’hui comme « une doxa de l’époque » : la pratique picturale et son enseignement se trouvaient délaissés au profit d’un art plus conceptuel. « Ce mépris institutionnel a accompagné plusieurs générations, de 1986 à 2008, souligne-t-il. Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui, la majorité des élèves des Beaux-Arts veulent faire de la peinture. »À l’époque, pourtant, le choix de s’appliquer devant une toile semblait saugrenu. Thomas Lévy-Lasne ronge son frein et travaille parallèlement comme assistant de l’historien de l’art et auteur de documentaires, Hector Obalk. En 2000, ce dernier conçoit en tant que commissaire d’exposition un accrochage, à l’École des beaux-arts, des toiles de quelques peintres alors passés de mode – Gilles Aillaud, François Boisrond, Philippe Cognée… («Ce sont les pommes qui ont changé »). Lors du vernissage, Thomas Lévy-Lasne, caméra à l’épaule, tend le micro à des invités, étudiants et critiques d’art, certains ulcérés par cette réhabilitation de la peinture figurative. « J’ai un peu forcé le trait au montage », reconnaît-il a posteriori, sans doute pour monter en épingle un scandale – le retour annoncé de la peinture honnie – relativement circonscrit. Lui a pour sa part trouvé une cause à défendre.

À force de poser en héraut d’un art injustement dénigré, il attire l’attention de Claudine Tiercelin. La professeure au Collège de France lui propose, dans le cadre de la chaire de Métaphysique et de Philosophie de la connaissance, de monter en 2014 un colloque thématique avec Marc Molk. Intitulé « La Fabrique de la peinture », l’événement réunit pendant quarante-huit heures des artistes de premier plan (Jeff Koons, Chéri Samba, Jake et Dinos Chapman…) aux côtés de peintres débutants tels qu’Eva Nielsen ou Amélie Bertrand. « Nous voulions montrer que le savoir-faire est aussi un savoir », explique le passionné, qui assure que le colloque a fait salle comble, attirant des élèves des Beaux-Arts, comme la jeune Nathanaëlle Herbelin dont il est resté proche : « Ce que Thomas fait pour la peinture est exceptionnel. Cela m’a beaucoup aidée, notamment à la sortie de l’école », souligne-t-elle.

Quand en 2018-2019, il est pensionnaire à la Villa Médicis, le medium est encore selon lui suffisamment stigmatisant pour que dans sa promo, on le désigne comme « le peintre » – anecdote ponctuée d’un de ses brefs et sonores éclats de rire d’ogre sympathique.

Lancement de la chaîne YouTube « Les Apparences »

Au cœur de l’Académie de France à Rome, il va ainsi réitérer son entreprise de défense et promotion de la peinture en orchestrant avec l’historienne de l’art, Isabelle de Maison Rouge, la présentation, sur la chaîne YouTube de « La Villa », d’une centaine de noms emblématiques de« la vitalité de la scène française ».

C’est ce même principe qu’il décline ensuite lors de l’exposition collective « Les Apparences » (2021), dont il est le commissaire (à Perpignan), et qui lui donne l’occasion d’affiner son format. Désormais, tous les dimanches à 18 h, sur Twitch et à présent sur YouTube, Thomas Levy-Lasne interviewe pendant une heure un peintre sur son œuvre et son parcours.

Sa sélection va des peintres des générations précédentes, comme Marc Desgrandchamps ou Agnès Thurnauer, à Dora Jeridi, Révélation Emerige 2022, qui a intégré la galerie Perrotin. Il arrive que certains, comme Djamel Tatah, déclinent son invitation. Lui, assure que sa chaîne, qui cumule plus de 5 800 abonnés, fait aujourd’hui référence, à la façon d’une base de données, en passe de devenir une institution en soi. On pointe au hasard sur l’affiche du « Jour des peintres », les noms de quelques absents : Julie Beaufils, Hélène Delprat, Natacha Donzé, Miryam Haddad … Thomas Lévy-Lasne reconnaît les limites de l’exercice. Mais il s’inscrit dans la durée. « Notre nouveau président Sylvain Amic a immédiatement ressenti la force de cette présence de 80 peintres, indique Nicolas Gausserand, en charge des programmes contemporains au Musée d’Orsay. Il a souhaité que le musée puisse voir les choses en grand pour cet événement, et suggère déjà l’idée d’une deuxième journée semblable. »

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Thomas Lévy-Lasne un artiste à contre-courant

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