Colloque

Les peintres au tableau

Par Céline Piettre · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2014 - 737 mots

Le Collège de France a convié treize artistes, parmi lesquels Jeff Koons, à débattre de « La fabrique de la peinture ».

PARIS - Si la peinture, en tant que médium et mythe, n’en finit pas de mourir sous les coups de ses assassins présumés – de la photographie à l’art conceptuel –, ses peintres sont bien vivants. Les 30 et 31 octobre, treize d’entre eux ont occupé le pupitre réservé d’ordinaire aux vénérables professeurs du Collège de France. L’Américain Jeff Koons, venu s’offrir un bain de foule avant sa rétrospective au Centre Pompidou [à partir du 26 novembre], le flegmatique et érudit Glenn Brown, que le staff de sa galerie (Gagosian) ne quittera pas d’une semelle, et la relève française : Ida Tursic & Wilfried Mille, Eva Nielsen ou Amélie Bertrand. Leur hôte, Claudine Tiercelin, titulaire de la chaire de Métaphysique et philosophie de la connaissance, les a invités à réfléchir sur l’acte de peindre.

Comment la toile, « objet réel », se fabrique-t-elle ? Sans intermédiaire, l’artiste est livré aux questions des co-organisateurs et intervenants Thomas Lévy-Lasne et Marc Molk. On traque de l’intérieur les savoirs empiriques, le processus, l’intention. On cause jus colorés, temps de séchage, logiciel de traitement d’images, renoncements. Le discours est sentimental ou poétique, les anecdotes climatiques de l’atelier (le froid qui durcit les tubes de couleur) coexistent avec une rigueur analytique puisant chez l’écrivain Pascal Quignard pour Damien Cadio ou chez le philosophe Vilém Flusser pour Anne Neukamp. Le public apprécie l’extraversion de Marc Molk – qui passe un morceau de Bruce Springsteen – et les blagues du Brooklynois d’adoption Gregory Forstner. L’amphithéâtre de 450 places, plein à craquer pour Koons, maintiendra une fréquentation honorable. Seul ombre au tableau, l’annulation à la dernière minute de la performance des frères Chapman.

Une peinture qui ne se prive de rien
La question du fait-main est posée à Eva Nielsen, dont les paysages urbains vertigineux mêlent huile et sérigraphie. « Je ne me prive de rien », répond-elle, se faisant la porte-parole de ses camarades. La peinture que l’on devine ici est une peinture libre, prête à toutes les aventures. Les artistes piochent sans complexes dans leur vie (Forstner), l’art ancien ou le cinéma de genre – les ados de la saga cinématographique Twilight peuplent les Eden enchevêtrés d’Hernan Bas. L’huile, exigeante, qui oblige à une présence assidue, l’emporte sur l’acrylique, sans exclure le recours au photomontage. Internet concurrence le modèle. Jules de Balincourt attaque son support (en bois) à l’instinct, sans idée préconçue, quand beaucoup créent à partir d’une image préexistante, pages arrachées de magazine (Tursic & Mille), photos prises sur un portable (Lévy-Lasne), pictogrammes (Neukamp).
On démystifie l’acte de peindre d’un côté, tirant les leçons d’un XXe siècle iconoclaste, on s’autorise les anachronismes de l’autre, réaffirmant le « je », le style (chez le Congolais Chéri Samba). Une peinture « exempte de discours » (Cadio) cohabite avec un retour du sujet (Forstner). Hétérogènes, les pratiques se rejoignent autour de la notion de plaisir, plaisir de faire « proche de la sexualité mais en plus long ! », selon Thomas Lévy-Lasne. Plaisir des couleurs, persistant au sein même de l’esthétique froide et dépourvue d’affects d’Amélie Bertrand, ou des peintures assistées par ordinateur de Koons. Plaisir de sentir que « ça tient ». La place de l’accident qui « rouvre à chaud le cœur du tableau » (Molk) revient à plusieurs reprises, conférant au médium une sorte d’indépendance, peinture active capable de s’autogénérer comme de s’autodétruire.

« Quitter la France pour peindre »
La phrase est lâchée par le Français vivant à New York Jules de Balincourt, révélant avec maladresse un besoin de reconnaissance pour les peintres. D’autres arguent de la difficulté de se former à l’huile aux Beaux-Arts (Bertrand) ou d’une plus grande ouverture d’esprit chez les Anglo-Saxons (Nielsen) : la France mettrait-elle des bâtons dans les roues de la peinture ? ou plutôt d’une certaine peinture, à l’ADN figuratif, sortant à peine la tête de l’eau ? Si un tel constat doit être nuancé – car le médium a résisté, présent dans les collections publiques et parmi les finalistes du prix Marcel Duchamp –, le colloque pointe sans le formuler l’inégalité de traitement et l’arbitraire des modes dont l’art n’est pas préservé. « Nous voulions témoigner de la vitalité d’une production sous-représentée en France », explique Thomas Lévy-Lasne. Le parti pris écarte de la sélection une abstraction plus formaliste et la médiatique scène chinoise. Délit d’autopromotion ? Risque de confondre personnalité de l’œuvre et de l’artiste ? Tout le monde ne s’y retrouvera pas mais pourra profiter de la qualité (irréfutable) des interventions, à l’écoute sur le site Internet du Collège.

Colloque « La fabrique de la peinture » (30-31 octobre)

Disponible pendant un an en podcast sur le site du Collège de France, www.college-de-france.fr/site/audio-video/

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Les peintres au tableau

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