Galerie

Thomas Lévy-Lasne, la catastrophe écologique

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2020 - 677 mots

PARIS

Le peintre a rejoint la galerie Les Filles du calvaire, qui lui consacre une exposition personnelle, témoignant de ses préoccupations environnementales.

Paris. Thomas Lévy-Lasne comptait en 2019 parmi les heureux pensionnaires de la Villa Médicis. « La meilleure année de ma vie », affirme, peut-être prématurément, ce jeune quadragénaire. Mais à Rome, c’est vrai, l’artiste a eu du temps, ô combien précieux, lorsqu’on a comme lui choisi le médium de la peinture. Thomas Lévy-Lasne a ainsi pu observer les arbres, non pas pousser, mais tomber dans le parc de la Villa, où soufflaient cette année-là des vents particulièrement violents. Cette contemplation a nourri sa réflexion sur le paysage et donné matière à une très grande toile au fusain, Le Bosco, tout en confirmant son goût pour une esthétique de la catastrophe, cette façon tragique d’habiter le monde qui, estime-t-il, le lie au romantisme.

Le Bosco, réalisée à Paris, saisit le frémissement de la lumière dans les feuillages d’une allée forestière rendus par les contrastes du charbon de bois, noir sur fond blanc. La toile accueille le visiteur au rez-de-chaussée de l’espace des Filles du calvaire. Cette œuvre monumentale a été conçue pour une installation immersive sur le salon Drawing Now, au Carreau du Temple, annulé au printemps dernier en raison de la pandémie. On peut s’abîmer longtemps dans la contemplation calme de cette perspective carbonisée, comme si elle contenait en elle ce fameux effet de sidération dont il a tant été question. Dans la galerie, Le Bosco partage l’espace avec une série plus ancienne, sur le thème du spectacle, que nous avions pu voir lors de la résidence de l’artiste à la Fonderie Darling, à Montréal, en 2018. Thomas Lévy-Lasne, reclus dans son atelier en ce rude hiver québécois, travaillait alors les strates de noir pour faire apparaître sur le papier l’éclat d’un projecteur, d’un écran, d’une scène, foyer incandescent focalisant l’attention des spectateurs. Des visions de communion cathartique, au cinéma, au concert, au théâtre, que l’on envisage aujourd’hui avec un peu de nostalgie – un de ces fusains a intégré la collection du Cnap cet été.

La peinture aux frontières du réel

À l’étage, la mélancolie se fait plus glaçante et le procédé différent. Une série de tableaux, dont certains, par leur précision, pourraient faire douter qu’il s’agit de peinture, est distribuée autour de la galerie, cernant le visiteur. Leur sujet ? La dégradation de l’environnement saisie dans les strates de plastique des plages normandes, les séquelles des catastrophes comme celle de Tchernobyl, l’artificialisation de la nature, la banalité du mal quand il s’inscrit dans le décor, comme ce saule pleureur planté à l’entrée du camp d’Auschwitz-Birkenau. L’évidence tranquille de ce que nous ne voyons pas.

Pourtant, l’impression de réalisme, voire, d’hyperréalisme, est un leurre. D’une part, chaque image est le résultat d’une composition assemblant plusieurs vues, faisant même parfois intervenir une pièce rapportée, un figurant. D’autre part, parce que si son sujet intéresse Thomas Lévy-Lasne, ce sont d’abord les moyens de sa figuration qui lui donnent du sens. Grand arpenteur de musées, l’artiste a beaucoup regardé ses pairs et ses maîtres. Et c’est en peintre aussi qu’il regarde le monde, s’attachant ici à la précision d’une chevelure, « bâclant » là un détail dans un relâchement du poignet, ou s’essayant à une palette de marron, d’orange et de bleu, afin de faire apparaître une image dans l’image.

Pour Au Biodôme (voir ill.) qui montre un homme âgé, en doudoune noire, dans la bulle aseptisée d’une serre végétale, il joue avec les codes d’un naturalisme botanique se proposant de collecter et de représenter les espèces végétales dont nous avons à présent oublié les noms. Cette jungle sous-vide parle, comme le suggère le titre de l’exposition, d’une forme d’asphyxie, renforcée par cette tension du geste, cette application de l’art tentant de ramener au réel une époque qui lui préfère le virtuel. Il semble d’ailleurs que la série des fusains – entre 5 000 et 7 000 euros pour les moyens formats – ait davantage de succès que les peintures, plus grinçantes, montrées à l’étage (entre 10 000 et 15 000 euros).

L’asphyxie, Thomas Lévy-Lasne,
jusqu’au 24 octobre, galerie Les Filles du Calvaire, 17 rue des Filles-du-Calvaire, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°552 du 2 octobre 2020, avec le titre suivant : Thomas Lévy-Lasne, la catastrophe écologique

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