Art contemporain

L’Argentine à l’heure des changements

Par Carlos Basualdo · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 997 mots

L’Argentine se prépare pour de grands changements, du fait de la nouvelle donne institutionnelle à Buenos Aires, de l’émergence de collectionneurs dynamiques, et de l’intérêt croissant que porte la communauté internationale à l’art argentin.

BUENOS AIRES - La capitale de l’Argentine n’avait plus connu une telle effervescence artistique depuis les années soixante. Cette renaissance s’accompagne de transformations politiques d’envergure. En effet, il y a plus d’un an, le gouvernement de la ville est tombé aux mains de Fernando de la Rua, membre du Parti radical et fervent opposant au péronisme conservateur du président Carlos Menem.

Laura Buccellato, énergique directrice du Musée d’art moderne, est à l’origine d’un grand programme d’agrandissement et de réaménagement de l’institution. Avec l’aide de Marion Helft, mécène et collectionneuse d’art moderne, le gouvernement municipal a approuvé le vote d’un budget équivalent à 30 millions de francs pour ses restructurations. L’architecte chargé du projet, Emilio Ambaz, Argentin résidant aux États-Unis, a dessiné gracieusement les plans du nouveau bâtiment.

Depuis sa nomination à la tête du musée, Laura Buccellato a monté plusieurs expositions importantes, dont une rétrospective de Raul Lozza, membre fondateur du groupe Arte Concreto-Invención dans les années quarante. Elle a inauguré une salle d’étude et organisé plusieurs cycles de conférences, de films et de projections vidéo.

Le Centre culturel Recoleta fait également l’objet de changements radicaux. La nouvelle directrice Teresa Anchorena, nommée en juillet 1996, a entrepris d’audacieuses rénovations. En novembre, le Centre ouvrira cinq nouveaux espaces destinés aux expositions internationales. La Salle Cronopios, inaugurée l’an dernier, toujours sous la direction de Teresa Anchorena, a accueilli les expositions d’Enzo Cucchi et de Miquel Barceló. La construction d’une nouvelle aile est en projet, afin d’héberger des ateliers qui seront mis à la disposition des artistes internationaux en résidence.

Le Musée des beaux-arts connaît également un regain d’activité depuis que l’ex-directeur du CAYC (Centre de Arte y Comunicación), Jorge Glusberg, a été nommé. Son programme a donné lieu à plusieurs expositions d’art moderne et contemporain, présentant tour à tour de grandes rétrospectives – les maîtres du modernisme argentin, Antonio Berni (qui attiré une affluence record), Rafael Barradas et Joaquin Torres-Garcia – et des expositions de moindre envergure consacrées à des artistes contemporains comme Pablo Siquier. Sous sa direction, la fréquentation du musée a augmenté, et le Musée des beaux-arts comme le Centre culturel Recoleta – situés dans le même quartier et entourés de parcs – sont devenus un parcours obligé des visiteurs.

Essor du marché
Le Centre culturel Borges, entièrement rénové, qui vient d’ouvrir ses portes dans l’enceinte historique des élégantes Galeries Pacifico, et la Fondation Proa, dans le quartier populaire du port imprégné de tango, sont également à visiter. Après l’inauguration de la fondation avec la rétrospective Rufino Tamayo, sa directrice Adriana Rosenberg a monté des expositions consacrées notamment à Julio Galan et Andres Serrano.

Tous ces changements institutionnels ont été encouragés par l’émergence simultanée d’un marché de l’art national plus dynamique qu’il ne l’avait été depuis une dizaine d’années. Ruth Benzacar a joué un rôle prépondérant dans l’essor du marché et s’est imposée comme l’un des leaders de la scène artistique contemporaine argentine de ces dernières décennies. Sa galerie présente plusieurs générations d’artistes, des maîtres modernes, comme Antonio Berni, jusqu’à la génération appartenant aux arte de sistemas (arts systèmes) des années soixante-dix – Jorge Glusberg, alors directeur du CAYC, avait regroupé sous ce nom plusieurs grands artistes conceptuels argentins. Ce mouvement marque la transition entre l’ancienne génération de Victor Grippo et Luis Fernando Benedit, et la jeune génération apparue après la fin de la dictature militaire, en partie représentée par Pablo Siquier, Marcelo Pombo et Rosana Fuentes. C’est grâce à Lily Berni, la fille d’Antonio Berni, et à Ruth Benzacar que les maîtres argentins se vendent si bien chez Christie’s depuis deux ans, et les prix élevés de leurs œuvres ont contribué à stimuler encore davantage le marché et les collectionneurs nationaux.

Collectionneurs et mécènes
Homme d’affaires et collectionneur latino-américain, Eduardo Costantini, qui a rassemblé l’une des plus riches collections d’Argentine, a fait la une des journaux lorsqu’il a acquis à des prix records des œuvres de l’artiste mexicaine Frida Kahlo et de la Brésilienne Tarsila do Amaral. Il vient d’ouvrir un concours pour la construction d’un musée où il conservera sa collection personnelle et organisera des expositions temporaires. Amalia Fortabat, qui est sûrement l’un des plus grands mécènes du pays, est également à la tête d’une somptueuse collection de renommée internationale. Elle a été nommée à la présidence du Fondo Nacional de las Artes (l’équivalent du National Endowment for the Arts aux États-Unis), qu’elle dirige avec poigne. Un nouveau musée devrait bientôt voir le jour pour accueillir sa collection ; l’architecte chargé du projet est Rafael Vinoly, Argentin vivant à New York, qui compte déjà à son actif plusieurs grandes réalisations, dont le Forum de Tokyo.

Pas à pas, l’art argentin s’est imposé dans les expositions internationales. En 1994, David Elliot, alors directeur du Musée d’art moderne d’Oxford et aujourd’hui à la tête du Moderna Museet de Stockholm, a organisé la plus grande exposition d’art argentin hors du pays : “Art in Argentina 1920-1994”. L’Ikon Gallery de Birmingham a présenté une rétrospective de l’œuvre de Victor Grippo en 1995. Une autre, consacrée à Luis Benedit et organisée par Octavio Zaya, est programmée pour 1999 au Nouveau Musée d’art contemporain, à New York.

Parmi les artistes argentins de moins de cinquante ans qui ont fait leurs preuves à l’étranger ces dernières années, citons Guil­lermo Kuitca, qui a exposé à la Documenta IX, à la Whitechapel Gallery de Londres, et dans de grands musées en Europe et aux États-Unis. Miguel Angel Rio et Fabin Marcaccio, qui vivent à l’étranger, ont été des plus dynamiques récemment, et sont encensés par la critique. Pablo Siquier, Monica Giron et Marcello Pombo commencent tout juste à être connus en dehors de leur pays. Ils seront à l’honneur dans la grande rétrospective de l’art latino-américain contemporain qu’organisent ce mois-ci à Los Angeles les galeries Christopher Grimes et Track 16.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : L’Argentine à l’heure des changements

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