La force de l’art brésilien tient à sa capacité à se nourrir d’apports extérieurs pour les transformer en des créations qui lui sont propres. En témoignent les œuvres exposées dans les musées de Rio ou São Paulo et dans le cadre de la Biennale organisée dans la première ville du Brésil.
BRASILIA - Le Brésil abrite plusieurs cultures différentes. Le concept d’Anthropophagie (ou cannibalisme), lancé par le poète Osvaldo de Andrade en 1928, montre la capacité de l’art brésilien à absorber et digérer les influences extérieures pour les transformer et donner naissance à quelque chose de nouveau.
Tarsila do Amaral est l’artiste qui a le mieux exploité cette idée. Avec sa peinture, elle a réussi à associer des styles européens a priori incompatibles, comme Léger et le Surréalisme, à la couleur et à l’imagerie tropicale, et a largement contribué à faire entrer le Brésil dans la modernité. Son œuvre est présente dans plusieurs collections privées – notamment celle de Pauline Nemerosky – et dans les plus grands musées du pays, tels le Musée d’art contemporain et la Pinacothèque d’État de São Paulo, ou le Musée national des beaux-arts de Rio de Janeiro.
Le Musée d’art contemporain de São Paulo a exposé au mois de mai la collection de Gilberto Chateaubriand, grand collectionneur d’art moderne et contemporain brésilien. Il présente, du 1er août au 4 octobre, les pièces majeures de la collection d’art d’Amérique latine d’Eduardo Costantini, où figure le chef-d’œuvre de Tarsila do Amaral Abaporu (1928), qui signifie “l’homme qui mange” dans la langue des Indiens Tupi-Guarani, ainsi que des œuvres de Xul Solar, Frida Kahlo et Joaquin Torres-Garcia.
Si l’œuvre de Tarsila do Amaral a symboliquement marqué l’entrée du Brésil dans la modernité, le constructivisme incarne la modernisation spectaculaire du pays dans les années cinquante. Le mouvement, lié à l’architecture, a été motivé par la construction de la capitale Brasilia, qui rassemblait artistes, architectes et sculpteurs. Oscar Niemeyer, l’architecte à l’origine du projet, a reçu le 16 juin la prestigieuse Royal Gold Medal du Royal Institute of British Architects, pour l’ensemble de son œuvre.
Biennale de São Paulo
Rio de Janeiro a été le témoin de la transformation décisive du néo-concrétisme (constructivisme dissident). Le rejet de la monumentalité est particulièrement visible chez des artistes comme Lygia Clark, Hélio Oiticica et Lygia Pape. Les créations semi-organiques de Clark – les bichos (animaux mécaniques) et borrachos (larves en caoutchouc) – invitent le spectateur à prendre part aux expérimentations qu’entreprend l’artiste avec le corps. Les Bolides d’Oiticia, des boîtes contenant des pigments souvent assemblés de manière à figurer des costumes de carnaval, tout comme ses Penetrables, de lancinants parcours dans des décors rappelant les favelas (bidonvilles), sont motivés par le même propos. La collection d’Adolph Leimer, qui sera exposée du 2 octobre au 29 décembre au Musée d’art moderne de São Paulo, compte de beaux exemples du néo-concrétisme.
Les années cinquante ont également vu la naissance de la plus grande manifestation destinée à célébrer l’art en Amérique latine : la Biennale de São Paulo, qui se tient dans un espace de 30 000 m2 conçu par Niemeyer. Elle sera organisée cette année du 4 octobre au 13 décembre, par Paulo Herkenhoff, qui fut ministre de la Culture de 1983 à 1985, et commissaire du pavillon brésilien à la Biennale de Venise en 1997.
Cette édition présentera cinquante artistes contemporains internationaux qui prendront pour point de départ le concept d’Anthropophagie d’Osvaldo de Andrade. Douze commissaires, parmi lesquels Dawn Ades et Catherine David, étudient le concept de modernité au-delà de ses particularités brésiliennes, et font de Gauguin et Matisse des “cannibales” de cultures non-européennes.
Cette manifestation, véritable rampe de lancement pour les artistes contemporains brésiliens, leur permet de s’informer sur les évolutions en cours. Le renouveau international de la peinture sur toile qui s’est opéré au cours des années quatre-vingt a été particulièrement fécond à Rio, qui a vu l’éclosion de la Geraçao 80 (génération 80) avec des artistes comme Daniel Senise, Katie Scherpenberg et Siron Franco, les plus représentatifs de leur génération. L’œuvre de Siron Franco, qui va de la caricature expressionniste aux représentations abstraites sur peau d’animal, laisse transparaître l’engagement de l’artiste dans l’écologie et la politique.
Adriana Varejão étoile montante
Ce renouveau a été rejeté par un groupe d’artistes, notamment Cildo Meireles, Jac Leimer (fils du collectionneur Adolph Leimer) et Waltericio Caldas, qui ont repris l’héritage laissé par les néo-concrétistes. L’inflation galopante des années quatre-vingt est devenue le thème de prédilection de Meireles et Leimer, alors que Caldas s’est concentré sur le questionnement des différents aspects de la représentation culturelle.
Ces dernières années, l’art de l’objet a envahi la scène artistique, comme l’attestent les installations de Tunga, réalisées à partir de cheveux. Parmi les artistes de la jeune génération, figurent Tatiana Grindberg et ses objets “immatériels” faisant référence au corps et aux instruments médicaux, Vik Muñiz et ses photographies dégoulinantes de chocolat – il travaille actuellement à des œuvres dans lesquelles intervient l’eau pour la Biennale de Curitiba, dans l’ouest du Brésil, en juin-juillet 1999 –, Miguel Rio Branco, connu pour son travail photographique dans le style de Sebastiao Salgado – des images sereines de marginaux vivant au Brésil –, enfin, l’étoile montante Adriana Varejão, dont les performances et les installations retracent l’histoire de la colonisation à l’aide de tableaux fragiles réalisés à partir d’une matière évoquant la peau humaine ou rappelant des carrelages baroques. Ses réalisations sont directement liées à l’histoire du Brésil et, pourtant, leurs qualités formelles entraînent le spectateur ailleurs. À l’instar d’un grand nombre d’œuvres modernes et contemporaines brésiliennes, le travail de Varejão est très diversifié et témoigne d’une réelle maîtrise qui empêche de le qualifier hâtivement d’art “brésilien”.
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Un Brésil anthropophage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Un Brésil anthropophage