Les problèmes financiers des écoles territoriales de l’enseignement supérieur en art et design ont mis au jour leurs difficultés structurelles. Ces établissements placent leurs espoirs dans le dialogue établi cet été avec leur ministre de tutelle.
France. Le 20 juillet dernier, une délégation de présidents d’écoles d’art territoriales était reçue par Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture. Ce rendez-vous, les écoles d’art le demandaient depuis des mois. Dès septembre 2022, un courrier adressé au ministère, cosigné par l’ensemble des présidents, alertait les pouvoirs publics face à l’explosion des coûts induits par l’inflation et la flambée des prix de l’énergie. « Une telle mobilisation, cela ne s’était jamais vu », affirme Estelle Pagès, directrice de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon et vice-présidente de l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdÉA).
Cette inquiétude générale s’est d’ailleurs traduite tout au long de l’année scolaire par des manifestations d’étudiants et du corps enseignant et, fin mars, Rima Abdul Malak annonçait une aide d’urgence de deux millions d’euros pour les 33 écoles d’art et de design territoriales dont elle a la tutelle. La ministre a-t-elle pris la mesure de la gravité de la situation ? Car la crise actuelle vient, de fait, révéler des fragilités structurelles anciennes. C’est ce que permettra sans doute d’établir le rapport qu’elle a confié à Pierre Oudart (directeur de l’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille-Méditerranée, ancien délégué aux arts plastiques au ministère).
Il est certain que les difficultés budgétaires rencontrées par les écoles d’art sont liées à la conjoncture économique. L’inflation a grevé leurs dépenses. L’envol des prix de l’énergie est venu compliquer davantage la situation, avec des factures de chauffage et d’électricité démultipliées. Enfin, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 3,5 %, a eu un impact considérable sur les budgets des établissements. Plusieurs écoles se sont retrouvées dans le rouge. Certaines, dangereusement. Ces tracas financiers débouchent sur une question de fond : qui doit payer pour que les écoles continuent à assurer leurs missions pédagogiques ?
Depuis 2012, les écoles d’art territoriales sont devenues des établissements publics de coopération culturelle (EPCC). Membre fondateur, l’État est présent dans leurs conseils d’administration, mais il est souvent minoritaire pour le financement. Les écoles sont alors financées par les collectivités (la Ville, l’Agglomération, la Métropole, la Région…) et la répartition des contributions diffère d’un établissement à un autre. Or, non seulement ces contributions n’ont pas augmenté ces dernières années, mais elles ont même parfois baissé. C’est notamment le cas à Lyon, où la part de la Région est passée, en 2022 et en 2023, de 450 000 à 350 000 euros.
Tandis que les collectivités locales, doivent, elles aussi, faire face à l’inflation et à l’augmentation du coût de l’énergie, il faut plus que jamais argumenter pour convaincre les élus de l’importance de leur soutien. « Cela fait écho à la question de la place de la culture dans la société », souligne Marc Monjou, directeur de l’École européenne supérieure de l’image Angoulême-Poitiers (ÉESI). « La tentation pourrait exister de faire des écoles d’art des variables d’ajustement de la politique territoriale », relève pour sa part Cédric Loire, coprésident de l’ANdÉA.
Le cas de l’École supérieure d’art et de design (Ésad) de Valenciennes, dont la fermeture annoncée en 2025 paraît inéluctable, est devenu emblématique de cette crise générale. Cet établissement plus que bicentenaire forme chaque année une centaine d’étudiants. Il est régi par un conseil d’administration qui réunit les représentants de la Ville, de l’Agglomération, de la Métropole et du ministère de la Culture (via la Drac Hauts-de-France). Or, en quinze ans, la contribution, largement majoritaire, de la Ville n’a cessé de diminuer. « À son pic, elle représentait 1,2 million d’euros ; elle est actuellement de 300 000 euros », précise Floran Bulou Fezard, responsable des études et des relations internationales. « Pour justifier cette baisse, la Mairie explique que ce n’est pas aux collectivités de prendre en charge le financement des études supérieures, mais à l’État », poursuit-il. Déjà menacée de fermeture en 2010, puis en 2016, l’Ésad semble condamnée à une lente agonie : son Conseil d’administration n’a pas renouvelé le contrat de la direction, ni lancé d’appel à candidature pour le poste. Faute de projet pédagogique, l’école n’a donc pas pu demander l’accréditation de délivrance des diplômes (accordée par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) au-delà de 2025. Le recrutement d’étudiants pour 2023-2024 a, quant à lui, été suspendu.
Pour l’école d’Angoulême-Poitiers, c’est l’anticipation d’un avenir budgétaire incertain qui a déclenché un tsunami interne. « Dès 2020, j’ai fait établir des projections pluriannuelles. Celles-ci ont montré les difficultés qui se profilaient à l’horizon 2024-2025. J’ai alors commencé à prendre des mesures d’austérité, explique son directeur, Marc Monjou. Puis en novembre 2022, le Conseil d’administration et l’ensemble des financeurs publics (l’État, la Région Nouvelle Aquitaine, les Villes de Poitiers et Angoulême) m’ont missionné pour proposer des scénarios. Ces derniers ont été rejetés en bloc par l’ensemble du personnel et des étudiants. » Les solutions avancées par Marc Monjou pour rationaliser les coûts de fonctionnement étaient-elles trop radicales ? Faute de dialogue, l’école a été occupée depuis novembre 2022, avec plus ou moins d’intensité, jusqu’en juin dernier. En outre, la remise en cause de l’institution par les étudiants est une autre donnée problématique, notamment avec la création du Massicot qui se présente comme la « fédération syndicale des étudiants, collectifs, associations et syndicats en écoles de création ».
Les problèmes révélés par le contexte économique seront toujours d’actualité à la rentrée. L’aide de 2 millions d’euros débloquée par la ministre ne suffira pas. Quand bien même elle devrait être reconduite en 2024. « Il est urgent de définir une politique nationale pour les Ésad, assure Cédric Loire, coprésident de l’ANdÉA. Il faut donner une perspective aux écoles. » Un nouveau rendez-vous avec le cabinet de la ministre devrait avoir lieu fin septembre.
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Une rentrée difficile pour les écoles d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°616 du 8 septembre 2023, avec le titre suivant : Une rentrée difficile pour les écoles d’art