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École Boulle : les métiers d’art et le design fusionnent

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2018 - 1038 mots

PARIS

Un nouveau diplôme allie les deux domaines, entérinant une expérience largement pratiquée par les étudiants qui, pour leur production d’objets, travaillent la matière en lien avec le contexte local de sa provenance.

Ecole Boulle
B:Lab, l'atelier numérique de l'Ecole Boulle, où se mêlent déjà les étudiants des métiers d'art et ceux du design
© Photo Maxime Bellaunay

Paris. L’École Boulle fait sa révolution. Membre d’Hesam Université depuis février 2018, l’École a mis en place, en lien avec le Cnam, le nouveau « diplôme national des métiers d’art et du design » (DNMADE) voulu par l’Éducation nationale pour inscrire les cursus arts appliqués dans le processus de Bologne (LMD), mais aussi pour assurer une plus grande fluidité entre deux territoires traditionnellement distincts. À la fois lycée des métiers et école supérieure d’arts appliqués, Boulle, offrant des formations du CAP au DSAA (1), a été créée en 1886 à l’initiative de la Ville de Paris dans le but de former des professionnels de l’ameublement. Elle prendra le nom du célèbre ébéniste de Louis XIV, André Charles Boulle, également fondeur, ciseleur, doreur, dessinateur…

Cap sur la matière

Aujourd’hui, l’École occupe 27 000 mètres carrés sur son site historique situé dans le 12e arrondissement de Paris, accueille 1 000 élèves et 1 300 stagiaires en formation continue, et porte toujours fièrement à son fronton les noms de l’ébéniste Martin Carlin et de l’orfèvre Benvenuto Cellini. Conférant le grade de licence, le nouveau diplôme remplace les Manaa, BTS et DMA (2) et s’organise, à Boulle, autour de trois axes : « Objet », « Espace », « Événement ». Le grade de master doit suivre, accompagné d’une incitation à la recherche. Préparée depuis plusieurs années, cette réforme fait le pari du dialogue et du croisement des compétences. Porteurs de savoir-faire d’excellence, les métiers d’art seraient-ils prisonniers de la matière, otages du passé ? Aiguillon de modernité, le design serait-il oublieux de l’objet, absorbé par la conception, les usages, les systèmes ? Loin des caricatures, les métiers ont aujourd’hui des déclinaisons multiples, aux frontières de plus en plus poreuses, avec une exigence commune : s’adapter aux enjeux de l’époque (3). De jeunes « makers », pionniers de l’interdisciplinarité, témoignent.

« Bien souvent, les étudiants sont en avance sur nous, les profs… Ils ne se posent pas la question de savoir s’ils sont plus métiers d’art ou plus design ! Leur force fait le ferment de toute cette transformation », dit en souriant Vaïana Le Coustumer, professeure de design produit à Boulle. « En partenariat et avec l’appui de doctorants en biologie synthétique du CRI (4), nous avons pu mettre au point le projet “Minima”, un kit frugal de détection du gluten qui a été présenté dans le cadre du [concours international] Bio Design Challenge à New York, puis nommé parmi les projets finalistes. » Qui pouvait imaginer l’École Boulle alliant copeaux et sciences de la vie ? Pour Marie Rolland, 22 ans, artisan designer, diplômée DMA en menuiserie et siège en 2017, « deux esprits très dissociés régnaient encore récemment à Boulle. Pour ma part, j’ai toujours voulu combiner les approches, celles d’artisan et de designer ! » Elle découvre l’anatomie des meubles et appréhende la matière. « C’est en expérimentant la matière, en faisant corps avec elle, que j’arrive à la faire interagir avec des enjeux d’aujourd’hui pour créer de nouveaux objets. » La jeune créatrice décide de s’emparer du sel, matière naturelle, renouvelable, dont moins de 10 % des ressources annuelles sont utilisées. Avec le sel issu des salins d’Aigues-Mortes, elle fait naître une collection de luminaires empreinte de poésie. Que pense-t-elle du nouveau diplôme national des métiers d’art et du design ? « J’aurais adoré faire ce cursus ! »

Une création écoresponsable

Lucile Viaud, designeuse, 24 ans, diplômée DSAA en design objet en 2015, regrette aussi que Boulle « ait été longtemps partitionnée ». Mais elle reste impressionnée par les moyens et l’exceptionnelle liberté que l’on y trouve. La jeune diplômée va s’intéresser aux déchets de la filière halieutique en Bretagne, puis invente une recette de verre exclusivement à partir de coquilles, micro-algues et algues, sans sable, teinté dans la masse par les aspérités chromatiques des matériaux de la mer. Au Cerfav (5), en Lorraine, elle crée son matériau, « glaz », du nom de la couleur de la mer en breton, entre le bleu et le vert, et réalise sa collection « Pot » [voir ill.]. La couleur profonde, les reflets ondulés, les microbulles et les stries du verre marin donnent à chaque pièce sa singularité. Une mention, sous chaque objet, indique le lieu, la date de fusion et la provenance des matériaux. « Je dessine en fonction de ma matière et aussi de l’artisan avec lequel je collabore. L’échange pour moi est indispensable ! » Son verre, totalement recyclable, se travaille selon la technique traditionnelle du soufflage à la canne. « On constate le retour du geste de la main qui s’inscrit dans un mouvement plus large, pour fabriquer de manière plus locale, plus responsable, avec le moins d’impact possible sur l’environnement. Limiter l’extraction des matières premières et protéger les savoir-faire, tout se tient ! On n’a plus le choix ! » Son projet est de créer une entreprise pour développer de nouveaux objets en verre en fonction d’autres contextes locaux. Comme en Corse, avec des oursins !

Maxime Bellaunay, 22 ans, artisan créateur, diplômé DMA décors et traitements de surface en 2018, travaille, lui, le bois, l’ardoise ou le tuffeau pour créer des pièces uniques ou des petites séries. En charge de l’atelier numérique B:Lab à Boulle, il estime indispensable « que les étudiants des métiers d’art et du design se mélangent comme ils le font spontanément au milieu des fraiseuses numériques et des scanners 3D. Il faut d’abord comprendre comment la matière se comporte, ce qui est le mieux pour elle, après, on peut l’emmener ailleurs… Les outils numériques aident notamment au développement et au prototypage ».

Dans un monde saturé d’objets, en quête de sens, les jeunes boullistes savent qu’ils devront sans cesse se réinventer. Entre la puissance du geste et celle des technologies numériques, entre matérialité et immatérialité, quelle voie choisir ? Sans aucun doute celle de l’innovation…

 

 

(1) diplôme supérieur des arts appliqués. (2) mises à niveau en arts appliqués, brevet technicien supérieur en arts appliqués, diplôme des métiers d’art. (3) Voir l’exposition « Homo Faber : crafting a more human future », Venise, 2018. (4) CRI : Centre de recherches interdisciplinaires soutenu par la Fondation Bettencourt Schueller. (5) Cerfav : Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : École Boulle : les métiers d’art et le design fusionnent

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