PARIS
Remis en décembre au Premier ministre, un rapport parlementaire expose 22 préconisations, dont la création d’un opérateur unique afin d’accompagner un secteur méconnu et trop éclaté.
Paris. 300 pages, 22 préconisations, six mois de travail et près de 70 personnes auditionnées : le dernier rapport parlementaire sur les métiers d’art rendu au Premier ministre en décembre dernier est assurément le fruit d’un travail qui se veut sérieux et pragmatique à l’initiative du député de l’Hérault Philippe Huppé, actuel président de l’association Ville et Métiers d’Art, dont il est membre depuis 2011. « En réalité, le rapport est aussi issu de dix ans d’intérêt et d’analyse des métiers d’art en tant qu’élu », explique le député en présentant son rapport au Journal des Arts.
Passage en revue des labels, des crédits et subventions, des instances publiques et privées du secteur : le rapport fait le point du domaine des métiers d’art depuis le dernier rapport parlementaire sur le sujet, rendu en 2009 par la sénatrice Catherine Dumas. « La plupart des préconisations du rapport Dumas ont été prises en compte, mais le secteur évolue tellement vite qu’il était nécessaire de faire de nouvelles propositions pour répondre aux nouveaux défis de ces métiers », insiste Philippe Huppé.
Selon les chiffres du rapport, issus des estimations de l’Institut national des métiers d’art (INMA), le secteur des métiers d’art représente en France 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 60 000 entreprises et 120 000 salariés ou entrepreneurs. Des chiffres non négligeables, aptes à susciter l’intérêt de Bercy et de la Direction générale des entreprises. Mais derrière ces chiffres se cache un secteur éclaté, mosaïque, profondément protéiforme, à l’image des 281 métiers d’art fixés par décret (de l’ébéniste au gantier, du taillandier au tisserand, du conservateur-restaurateur à l’enlumineur) et dont les statuts varient selon la nature de leur activité (artisan, artiste-auteur, profession libérale, salarié, ou encore fonctionnaire). Pour accompagner ces métiers, deux bras pilotés par l’État, l’INMA et l’Institut supérieur des métiers (ISM) : « Il apparaît que les missions de ces deux acteurs au service des savoir-faire d’excellence sont mal identifiées, parfois connexes, voire se chevauchent dans certains cas », pointe le présent rapport. En parallèle, des pôles d’innovation pour l’artisanat consacrés aux métiers d’art existent, les Manufactures nationales jouent leur rôle historique, tandis que syndicats, fondations, fédérations et associations accompagnent les professionnels dans leurs activités et leurs multiples démarches.
Un GIE pour fédérer les actions
Pour représenter l’ensemble des acteurs publics et privés du secteur, Philippe Huppé propose donc la création d’un opérateur d’État unique sous la forme d’un groupement d’intérêt économique (GIE) issu de la fusion de l’ISM et de l’INMA. Pourquoi un GIE ? « L’idée est que cet organisme puisse résister aux majorités, aux lubies des premières années, et se construise dans le temps long des métiers d’art », soutient Philippe Huppé. Surtout, le GIE permet à l’État de garder un certain contrôle tout en incluant des revenus commerciaux à ses activités, à l’image d’Atout France, exemple mis en avant dans le rapport. Dans ce GIE, représentants de l’État (ministères de l’Économie, de la Culture, du Tourisme, des Affaires étrangères) et des collectivités côtoieraient syndicats (notamment Ateliers d’art de France, mentionné de multiples fois dans le rapport, lire ci-contre), fédérations et associations pour construire à la fois un observatoire, une plate-forme de formation et un gestionnaire de labels. « En vitesse de croisière, ce GIE aurait 5 à 6 millions d’euros de budget global », imagine Philippe Huppé, dont la moitié issue de subventions de l’État, auparavant affectées à l’ISM et l’INMA. De la création de ce GIE découlera alors la majeure partie des préconisations du rapport.
En tant que gestionnaire des labels nationaux, il aura la charge de faire évoluer le label EPV (Entreprises du patrimoine vivant) en révisant les critères d’attributions du label. En créant un label « Métiers d’Art et d’excellence » pour les entreprises non éligibles au label EPV (moins de 80 000 euros de chiffre d’affaires annuel), et en développant le label Indication Géographique (IG), l’écosystème des labels nationaux couvrirait ainsi la multiplicité des entreprises des métiers d’art, tout en maintenant un bon niveau de qualité et de visibilité.
Dans son rôle d’observatoire, il pourra par exemple établir une liste des outils de production patrimoniaux et empêcher leur exportation sans déclaration préalable, « une préconisation importante en termes de transmission des savoir-faire et qui me tient à cœur », souligne le député. Le GIE pourrait chapeauter l’expérimentation à grande échelle du dispositif « atelier-école » « en particulier pour les savoir-faire pour lesquels il n’existe plus de centres de formation ».
« Il faut aller vite », le député a déjà demandé la création d’un groupe d’étude consacré aux métiers d’art et du patrimoine à l’Assemblée nationale, l’une de ses préconisations. Un séminaire de travail est prévu au premier semestre 2019 avec les services du Premier ministre. Objectif : faire voter une loi portant création du GIE avant la fin de l’année. Matignon comme Bercy y seraient favorables. Resterait à trouver une place dans l’agenda parlementaire, débordé depuis le début de cette législature.
Ateliers d’Art de France fourbit ses arguments
Syndicat. En juillet dernier, Ateliers d’art de France, syndicat professionnel représentant 6 000 artisans d’art, publiait un rapport préconisant la création d’une branche unique censée accompagner les métiers d’art dans leurs spécificités et gagner en visibilité et pertinence. Cependant, le rapport parlementaire évacue cette proposition : « La majorité des personnes auditionnées et les échanges sur le terrain ont assez nettement contesté la pertinence d’une branche professionnelle unique. »« Nous allons continuer à porter cette revendication, seul moyen pour le secteur de s’organiser », répond au Journal des Arts Aude Tahon, présidente d’Ateliers d’Art. « Nous étudions les 22 propositions : tout peut être au bénéfice du secteur, ou mettre des freins », avance la présidente. Ateliers d’Art se prépare à la création du GIE : « la voix des professionnels devra y être » pour identifier les freins du secteur, normes réglementaires, fiscalité inadaptée, effets de seuils des labels.
Francine Guillou
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Métiers d’art : le rapport qui veut fédérer le secteur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Métiers d’art : le rapport qui veut fédérer le secteur