Huit ans après sa publication, le catalogue raisonné de l’œuvre de Vuillard est toujours l’objet d’un litige judiciaire.
PARIS - « L’ouvrage de référence » pour l’artiste français Édouard Vuillard a une nouvelle fois été présenté à l’audience, le 9 novembre 2012. Devant le tribunal de grande instance de Paris, cinq avocats ont plaidé dans ce litige en contrefaçon opposant un couple de documentalistes au Wildenstein Institute, à Guy Cogeval et à l’ayant droit du peintre. Sur les 2 000 pages de l’objet du litige, seulement 25 étaient contestées devant les magistrats, qui devront juger si une biographie, une bibliographie et des fiches techniques peuvent être protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique.
Procédures croisées
En 1940, Édouard Vuillard décède. Son neveu, Jacques Salomon, entreprend alors l’élaboration de son catalogue raisonné. Sous sa direction, puis celle de son fils Antoine, de nombreux contributeurs se succèdent dans la rédaction de cet ouvrage. L’historien de l’art André Chastel fut l’un de ces collaborateurs, au même titre que Guy Cogeval, devenu cinquante ans plus tard le président du Musée d’Orsay. Les époux Beaulieu, quant à eux, demandeurs en la présente affaire, interviennent en 1990. Mme Beaulieu, à l’époque engagée en qualité de documentaliste par la National Gallery of Art de Washington, est la première à être détachée auprès d’Antoine Salomon pour apporter son concours à la rédaction du catalogue ; sa mission première étant la saisie informatique des fiches techniques des œuvres. Au bout de deux ans, Antoine Salomon l’engage directement et embauche également son époux.
En 1994, les Beaulieu, qui prétendent que leur travail est en voie d’achèvement, indiquent qu’ils souhaitent être considérés comme coauteurs, et menacent, à défaut, de conserver le support de leur travail. De peur que la publication du catalogue soit ainsi rendue impossible, Antoine Salomon accepte cette reconnaissance, et signe une convention. Mais aucun document ne lui est remis. Au terme d’un second protocole signé en 1996, il finit par récupérer les disquettes contenant les textes électroniques, mais celles-ci sont verrouillées donc inutilisables. Une copie imprimée du travail des époux lui est aussi délivrée. Or, après analyse, l’éditeur pressenti considère que les textes sont d’une qualité insuffisante pour une publication. C’est alors qu’Antoine Salomon se rapproche de Daniel Wildenstein, lequel lui conseille de s’adresser à Guy Cogeval, déjà reconnu à cette date comme un grand spécialiste de Vuillard. Ce dernier accepte de reprendre le travail, en collaboration avec un autre documentaliste, Mathias Chivot.
Plus de six années après, un catalogue raisonné dit « critique » est coédité, en 2003, par les Wildenstein Institute Publications et les éditions Skira, sous la signature d’Antoine Salomon et de Guy Cogeval. Mais, la même année, les époux Beaulieu déposent à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques un manuscrit intitulé « Édouard Vuillard, Catalogue raisonné, Peintures et Pastels », dont ils estiment que l’essentiel a été repris et reproduit sans leur autorisation dans le catalogue raisonné. Ce qui constitue, selon eux, un plagiat. En 2004, ils assignent donc éditeurs et auteurs en contrefaçon, ainsi qu’en dénigrement et concurrence déloyale. Toutefois, en 2005, cette procédure civile fait l’objet d’un jugement de sursis à statuer, en raison d’une plainte déposée conjointement par les héritiers Salomon et MM. Cogeval et Chivot, qui se prétendaient entre autres victimes d’usage de faux et d’abus de confiance. En 2009, la chambre correctionnelle finit par débouter la partie civile de ses demandes et le tribunal décide de remettre l’affaire au rôle. En 2012, les époux Beaulieu sollicitent la condamnation solidaire des défendeurs à leur verser un million d’euros en réparation du préjudice qui leur aurait été causé par la publication du catalogue raisonné, ainsi qu’une mesure d’interdiction de fabrication et d’exploitation dudit ouvrage.
Les défendeurs affirment que les époux Beaulieu sont irrecevables en leurs demandes au motif principal qu’ils ne seraient pas les seuls auteurs des écrits dont ils se prévalent. Par ailleurs, leur travail ayant été celui de documentalistes, soit un travail de classement et de recherches, ils ne démontrent pas en quoi leur intervention, si elle était identifiable, serait marquée par l’empreinte de leur personnalité. Or, seules les œuvres de l’esprit qui se caractérisent par leur originalité, par un effort créatif et un apport intellectuel de leur auteur bénéficient de la protection par le droit d’auteur. Le délibéré est attendu pour le 25 janvier 2013.
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Vuillard à la barre du tribunal
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Abonnez-vous dès 1 €Édouard Vuillard (1868–1940) Le Corsage rayé (1895) - 65 x 58 cm - Huile sur toile - National Gallery of Art, Washington - source Wikipedia
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Vuillard à la barre du tribunal