« Musée de la danse » ! Autoproclamé par un « manifeste » à l’humeur dadaïste (« sérieusement et dans la joie »), cet ovni muséologique sorti du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne (CCNRB) surprend par la désuétude d’une telle revendication.
Le danseur et chorégraphe Boris Charmatz, fraîchement nommé directeur du CCNRB, est l’auteur de ce « putsch » dont il concède l’apparence réactionnaire. À quoi rime le projet de faire entrer la danse au musée alors que les arts plastiques n’ont eu de cesse d’en chercher la sortie tout au long du siècle dernier ? Et quand des voix s’élèvent pour dénoncer la mort des arts vivants par muséification ? Le directeur du Musée de la danse répond en relocalisant le débat : cette vieille résistance des œuvres au musée compose l’histoire d’une institution dont la danse a toujours, ou presque, été absente. Autrement dit, comment détruire le musée de la danse avant même de le construire ? C’est le défi de Charmatz. Préférer l’intitulé « centre » à celui de « musée » pointe cette lacune : « Il y a à peu près 1 300 musées en France, et pas un seul musée de la danse », déclare l’insurgé. L’art de la danse souffre d’un vide patrimonial criant ; et l’inscription du tango au patrimoine mondial de l’Unesco ne modifie pas la donne. Pour y pallier, le Centre national de la danse, fondé en 1998 à Pantin (Seine-Saint-Denis), met sa médiathèque à disposition du public et développe un programme de recherche et d’enseignement ainsi qu’une campagne de coédition afin de soutenir des publications encore rares sur le sujet. Le champ de recherche ouvert avec les Archives internationales de la danse, actives de 1932 à 1952, reste encore largement à compléter pour faire admettre la danse dans l’arène de l’histoire de l’art. Aussi la substitution du terme générique de « danse » au qualificatif « chorégraphique » dans le projet de Boris Charmatz est-elle justifiée. Elle annonce une plus grande porosité aux autres pratiques, et l’ambition de favoriser les rencontres au sein d’un paysage artistique indifférencié. Car si la danse franchit timidement les portes du musée, c’est sous un alibi anthropologique au Musée du quai Branly, ou, au Musée Guimet, dans l’objectif de témoigner d’un lointain folklore. Et quand le dialogue s’opère au Musée du Louvre, entre les esclaves de Michel-Ange et les gestes de Bill T. Jones, par exemple, c’est encore les beaux-arts qui choisissent le sujet de conversation…
Visite de chantier
Cet état des lieux explique l’urgence avec laquelle le directeur du CCN de Rennes et de Bretagne a fondé le « Musée (national) de la danse ». Un grand chantier de réflexion qui n’a, pour le moment, de musée que le nom, telle une promesse qui espère être tenue à l’issue de trois ans de direction. L’effet d’annonce n’est pas sans évoquer une tradition d’avant-garde par la forme du manifeste, ni la première exposition, « Expo zéro » (1) - une exposition signalée « sans œuvres » -, celle d’un art conceptuel radical. La déclaration se contente-t-elle de simuler la table rase ou opte-t-elle pour la défense de vieilles utopies ? La proposition conceptuelle pousse-t-elle la provocation jusqu’à substituer le projet de musée à un simple jeu d’esprit ? Projet d’artiste, ce musée est une œuvre. Mais le « musée d’artiste » - autre tradition - de Boris Charmatz a ceci de particulier qu’il se paie le luxe d’être réel, greffé sur une institution, le CCNRB, ayant déjà une existence légale. C’est en cela un coup de maître. Sa mission consiste sérieusement à se donner les moyens de ce fantasme : un musée mental, un musée sans mur et sans œuvre. « Nous partons de rien ! », atteste l’intéressé, enthousiaste. Ainsi l’invention du musée de la danse est-elle l’occasion de repenser collectivement les modalités de l’institution. Convoquant artistes, danseurs, chorégraphes, historiens ou philosophes, ce « brainstorming » muséal appliqué à la danse - mis en scène dans le parcours d’« Expo zéro » - pourrait bien avoir des échos dans les autres domaines de la culture. En somme, le Musée de la danse fournirait le prétexte à la redéfinition du musée par le biais d’un médium spécifique, par nature rétif au musée.
Création participative
Œuvre conceptuelle et néanmoins véritable institution, le Musée de la danse se cherche des murs. Bien qu’il profite d’un nouveau lieu de spectacle à Rennes, « Le Garage », il se conçoit tout autant comme « un musée caché dans le musée » selon son directeur. À ce titre, la collaboration entamée entre autres avec les Archives de la critique d’art (ACA) à Châteaugiron (Ille-et-Vilaine) pourrait motiver, « non pas la création d’archives de la critique de la danse, mais la mise en exergue d’une critique de la danse dans les fonds d’auteurs réunis aux ACA ». Le musée se développerait sur le mode de la contamination d’un champ culturel dont il viendrait se nourrir tout en lui offrant une extension, tel un greffon fleurissant aux couleurs de la pluridisciplinarité. Musée sans mur, il s’offre aussi comme un musée sans œuvre dont la recette se trouve dans l’obsession pédagogique de l’auteur de Je suis une école (2) et sa foi en une création participative. Avant d’être mis en scène par des professionnels, le spectacle 50 ans de danse fut un atelier mené avec des amateurs. Partant de l’ouvrage éponyme retraçant la carrière de Merce Cunningham (lire p. 20), chaque participant a appris une posture de danse depuis une photographie tirée du livre. Le spectateur - qu’il conviendrait aussi de renommer « usager » ou « pratiquant » - devient lui-même sculpture du musée, avant de « repartir chez lui avec ! », commente Boris Charmatz. Dans ce cas, c’est littéralement le « spectateur qui fait l’œuvre ». Et le patrimoine est envisagé comme savoir à réactiver plutôt que relique à conserver dans une vitrine. La danse pourrait alors « s’exposer » autrement que par la trace, symptôme de disparition (costume, photographies, vidéos) ? Avant que ce laboratoire n’inspire un renouveau muséographique, l’expression éperdue d’un besoin de musée et ses attentes capitales en termes de pédagogie, partage et mémoire résonne largement comme le rappel d’une mission ancestrale aux oreilles de l’institution républicaine.
(1) présentée le temps d’un week-end en octobre à Rennes au Garage, puis au Life à Saint-Nazaire.
(2) Éd. Les prairies ordinaires, 2009.
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Un musée de la danse à Rennes
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Abonnez-vous dès 1 €Musée de la danse, CCNRB, 38, rue Saint-Melaine, 35000 Rennes, tél. 02 99 63 88 22, www.museedeladanse.org.
Spectacle « 50 ans de danse » à Paris au Théâtre de la ville le 7 décembre, au Théâtre des Abbesses du 8 au 12 décembre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°312 du 30 octobre 2009, avec le titre suivant : Un musée de la danse à Rennes