Après la clôture des « Tanks », à Londres, le musée de demain se veut ouvert à l’expression du corps et à sa conservation.
En juillet dernier, dans les immenses réservoirs à mazout rénovés de la Tate Modern de Londres, les « Tanks », on pouvait voir danser à quelques mètres du public, dans une proximité aussi rare qu’intimidante, Anne Teresa De Keersmaeker. Accompagnée de Tale Dolven, la chorégraphe belge y réinterprétait les quatre mouvements de Fase, une pièce minimaliste devenue pour beaucoup culte, solo et pas de deux écrits en 1982 sur la musique hypnotique de Steve Reich. Deux mois plus tard, le même sol en béton de 30 m de large accueillait le Français Boris Charmatz et sa pièce Flip Book, sorte de condensé en mouvement de l’œuvre du chorégraphe américain Merce Cunningham.
En programmant ces deux artistes pour la première édition du festival « The Tanks » dédié à « l’art en action », la Tate Modern a officiellement scellé l’union de la danse et du musée. Ainsi l’espace muséal n’est-il plus réservé aux seuls plasticiens et performeurs, le chorégraphe y a désormais sa place dans la réflexion initiée par la Tate Modern, via la performance et l’installation, sur le corps, l’espace et le temps.
Le musée-théâtre
En réalité, les affinités entre la scène et les lieux d’exposition ne datent pas de cette année. Dans les années 1960 déjà, les artistes du Judson Dance Theater, fondateurs de la postmodern dance, préféraient aux plateaux de théâtre les couloirs des musées. En 1969, Meredith Monk présentait sa pièce Juice au Guggenheim à New York. Et jusqu’en 1978, Trisha Brown refusait de montrer ses créations ailleurs que dans l’espace public et les… galeries ! Mais ce qui a commencé comme une idylle est aujourd’hui un mariage largement consommé.
En 2012, tout musée qui se respecte doit ainsi avoir sa programmation « spectacle vivant ». Le Centre Pompidou propose chaque saison de découvrir des chorégraphes ayant un lien avec les arts plastiques, sur le fond ou sur la forme. Le Louvre invite lui aussi régulièrement des danseurs à investir ses espaces le temps d’un dialogue avec les collections – Robyn Orlin en 2009, Mourad Merzouki en 2011. Même le Musée du quai Branly présente des spectacles en rapport avec les expositions. Une stratégie qui n’a pas pour unique objectif d’élargir le champ disciplinaire en vue d’augmenter la fréquentation, mais de faire du musée un lieu où le corps peut exister en tant que médium.
« Le temps de l’art vivant est venu », s’est enthousiasmé Chris Dercon, le directeur de la Tate Modern, lors du lancement du festival « The Tanks ». « Les gens veulent voir des corps, ils veulent interagir avec d’autres corps et le musée doit intégrer cette dimension nouvelle. Quoi de plus contemporain que le corps ? »
Le musée-archives
En tant que lieu de conservation, le musée a aussi une responsabilité vis-à-vis de la danse qu’il présente. Certaines institutions, comme le Walker Art Center de Minneapolis, se désignent d’office en gardiens de sa mémoire, fragile car éphémère. En 2011, deux ans après le décès de Merce Cunningham, le musée a acquis plus de cent cinquante objets provenant de sa compagnie : documents, costumes, peintures, éléments de décor et accessoires.
En France, on trouve dans les réserves du Centre Pompidou les films des pièces phares de la postmodern dance, tel le Parades & Changes d’Anna Halprin (1965) qui a été montré dans l’exposition « Danser sa vie » conçue par le musée en 2011 pour témoigner des liens qui unissent la danse et les arts plastiques. L’institution muséale vient seconder les archives et les bibliothèques spécialisées dans leur mission de préservation du patrimoine dansé.
En 2008, lorsqu’il est nommé à la tête du Centre chorégraphique national de Rennes, Boris Charmatz va encore plus loin en inaugurant le premier Musée de la danse, voué à la conservation et à l’exposition mais aussi à la production et aux résidences d’artistes. Musée vivant, transgressif, « incorporé », donc construit par les corps, il « explore les tensions et les convergences entre arts plastiques et arts vivants, mémoire et création ». Peut-être le prototype d’une nouvelle génération de musée…
Scènes plurielles
Mais cette porosité entre arts plastiques et danse, musée et lieux de spectacles pose un problème de définition et de champ disciplinaire. Entre performance et danse, les frontières se brouillent davantage à mesure que le musée intègre les « arts vivants » à ses prérogatives. Et même si elles gardent leurs spécificités historiques, économiques (territoires et temps de production) et leur vocabulaire propre, la danse et la performance se rejoignent sur des réflexions et des aspirations communes. Danse conceptuelle, danse performative, les expressions sont nombreuses pour tenter de cerner la nature ambiguë de certains projets.
Aujourd’hui, le débat tombe peu à peu dans l’obsolescence. Le musée comme le théâtre sont traversés par des objets non identifiés, qui ne semblent appartenir à aucune catégorie en les englobant toutes. Le problème des appartenances est gommé par l’usage croissant du mot « scène », avec ou sans « s ». Comme si les chorégraphes, plasticiens, dramaturges se rattachaient à un théâtre contemporain au sens large, nouvelle famille recomposée dont le corps est l’ADN commun.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les musées entrent dans la danse
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : Les musées entrent dans la danse