PARIS [20.01.12] - Le marché haut de gamme reste très solide, alimenté par des riches toujours plus riches, tandis que les segments inférieurs piétinent.
Le marché de l’art a tenu bon en 2011 en France et dans le monde. Le constat laisse songeur, alors que le contexte financier et économique international est inquiétant. Pourtant les quelques chiffres que l’on peut capter ici et là montrent que le marché mondial semble avoir retrouvé son niveau de 2007, c’est-à-dire d’avant la crise financière. Ainsi, les ventes aux enchères de Fine Art (beaux-arts) auraient progressé de 15 % selon Artprice. Un chiffre vraisemblable si on le compare à la croissance de Sotheby’s Monde entre janvier et septembre, soit 20 %. La maison de ventes devrait même terminer l’année avec une croissance plus forte au vu des bons scores enregistrés lors des grandes ventes de New York cet automne. Conséquence logique d’un marché en croissance, les prix s’envolent. Toujours selon Artprice, « début 2011, les niveaux des prix des œuvres d’art étaient proches de ceux observés sur le second semestre 2007 (quelques mois avant les niveaux historiques de la fin de l’année 2007) et finissent l’année proches des niveaux de juillet 2008, quelques mois avant la chute vertigineuse qui s’étala de fin 2008 à début 2010 et fit perdre 37 % aux prix de l’art ».
Si le décrochage du marché de l’art d’avec les marchés boursiers est manifeste (les Bourses américaines ont fait du surplace en 2011, entre – 1 % pour S&P 500 et 5,5 % pour le Dow Jones), il ne faut pas oublier que le PIB mondial a crû de 4 % en 2011. Du côté des galeries et des antiquaires, la situation est toujours aussi difficile à mesurer. Si l’on en croit les communiqués de victoire des grandes foires que sont Tefaf (The European Art Fair) à Maastricht, Art Basel (Bâle) ou la Fiac (Foire internationale d’art contemporain, Paris), et de plusieurs de leurs prestigieux exposants, 2011 a également été une bonne année, moins frénétique qu’en 2007 et 2008 mais tout aussi solide.
Des riches plus riches
La première raison qui explique cette bonne performance du marché de l’art est tout bonnement que les riches, parmi lesquels se recrutent principalement les collectionneurs, sont de plus en plus riches ! Ainsi, selon le World Wealth Report 2011 dressé par Capgemini et Merrill Lynch, en 2010 étaient recensés 103 000 « ultra-HNWI » (des individus disposant d’un patrimoine, hors résidence principale, supérieur à 30 millions de dollars), un chiffre en hausse de 10,2 %. Leur richesse s’est même accrue de 11,5 % après une hausse de 21,5 % en 2009 (malgré le plongeon du PIB mondial de – 3 % en 2009). En Chine, selon le rapport Hurun, le nombre de milliardaires en dollars est passé de 189 à 271 ! Il n’est ainsi pas étonnant que la Chine, selon Artprice, vole pour la deuxième année consécutive la première place du marché de l’art aux Américains. Elle se taille non seulement la part du lion du produit des ventes en Fine Art (39 %, devant les États-Unis à 25 %), mais, toujours d’après Artprice, « 10 des 15 artistes les plus cotés sont originaires de Chine ». Des chiffres à manipuler avec précaution, tempère cependant le galeriste Christian Deydier, bon connaisseur du marché chinois.
Selon l’antiquaire parisien Hervé Aaron, l’art commence à devenir une valeur refuge. Si plusieurs clients ont évoqué la crise pour justifier un achat d’impulsion, deux ou trois de ses collectionneurs ont délibérément arbitré dans leur patrimoine au profit de l’art.
Le marché de l’art mondial est évidemment très hétérogène, mais l’on distingue très clairement deux ensembles : le haut de gamme, alimenté par des super-riches qui permettent aux grands marchands de prospérer, et le moyen de gamme, plus chahuté.
Une France à deux niveaux
C’est sans doute le même constat qui prévaut en France. Le galeriste Daniel Templon, qui évolue dans le haut du marché, avoue « avoir fait sa plus belle année depuis 1990 ». Sur le second marché, Franck Prazan, spécialiste de la seconde école de Paris, reconnaît lui aussi avoir fait une « bonne année ». Christian Deydier, spécialiste de l’art asiatique haut de gamme, avec un chiffre d’affaires (CA) qui approche les 20 millions d’euros, est tout aussi satisfait. En revanche, les antiquaires de milieu de gamme ou les petites et moyennes galeries souffrent davantage. Mais si quelques galeries ferment, la situation n’est absolument pas comparable aux années 1990-1992, lorsque même les grandes galeries déposaient le bilan, plombées par des remboursements d’emprunts déraisonnables. Aujourd’hui, quand les seuls coûts d’une galerie sont la location d’un espace et la rémunération (aléatoire) du galeriste, il est plus facile de faire le dos rond. Certaines spécialités sont plus à la peine, à l’instar (encore et toujours) du mobilier XVIIIe. Hervé Aaron, pourtant leader dans sa catégorie, reconnaît une baisse de ce département, compensée toutefois par la bonne tenue des tableaux anciens.
Les maisons de ventes françaises affichent un bilan correct, mais sans atteindre les performances internationales. Les neuf premières maisons de ventes (1), qui représentent plus de la moitié du CA de la filière, annoncent un produit en hausse de 6,7 %. Il est vrai que, à l’inverse des maisons new-yorkaises ou londoniennes, elles travaillent peu sur les segments très spéculatifs que sont les arts impressionniste, moderne et contemporain. En revanche, le commissaire-priseur parisien Henri Gros a pu constater « une baisse de 20 % à 30 % sur des lots de qualité moyenne ou secondaire ».
Une année imprévisible
Qu’en sera-t-il pour 2012 ? Sur le haut de gamme, les mêmes causes produisant les mêmes effets, et comme on ne voit pas ce qui pourrait affecter le patrimoine des ultra-riches, il est probable que les ventes restent solides. « Il y a toujours des acheteurs à des niveaux de prix spectaculaires », note Thomas Seydoux, directeur international du département d’art impressionniste et moderne chez Christie’s. Même en France, les acheteurs français ont passé un cap important : « Un achat de 100 000 euros n’est plus un problème en France », lâche Daniel Templon.
C’est sur les segments inférieurs que règne la plus grande variabilité. À commencer par les prévisions de croissance du PIB. En France, l’Insee reconnaît dans sa note de conjoncture de décembre 2011 « un degré inhabituel d’incertitude », et envisage une baisse de 0,1 % du PIB au premier semestre 2012 et une hausse de 0,1 % au second semestre. Les analystes de certaines banques sont plus pessimistes encore et estiment la baisse entre 0,3 % à 0,8 %. Or, même à considérer que l’activité des maisons de ventes reflète tout le marché de l’art en France, aucune corrélation n’apparaît entre l’évolution du PIB et le marché de l’art (voir graphique ci-dessus).
Plus que jamais, les professionnels vont devoir faire des efforts pour sortir de la marchandise de qualité inédite et être inventifs dans leur démarche commerciale. Fort heureusement, 2012 est une année « Biennale des antiquaires », et avec le succès attendu de la Fiac et le retour en grâce espéré d’Art Paris, le ciel devrait être nuageux sans passer à l’orage.
Note :
(1) Christie’s, Sotheby’s, Artcurial, Piasa, Claude Aguttes, Tajan, Millon, Cornette de Saint Cyr, Pierre Bergé & associés France.
Le marché des arts premiers, une des spécialités françaises, illustre bien la rivalité entre les deux professions. Grand leader de la spécialité, Sotheby’s a enregistré pas moins de six enchères supérieures à un million d’euros à Paris l’an dernier. La maison de ventes a réussi à faire venir ses « grands collectionneurs » (dont les moyens sont disproportionnés par rapport à ce secteur de collection), au détriment des amateurs de la première heure, qui ne peuvent plus suivre. Mais les antiquaires de la spécialité sont aussi victimes de ce succès en ventes publiques. « 2011 a été plus difficile. Il a fallu se battre pour décrocher des pièces exceptionnelles, reconnaît Bernard Dulon. Pour suivre la cote des enchères, nous avons augmenté nos prix. Mais cela a conduit une partie de notre clientèle à nous lâcher. D’autre part, certains collectionneurs se méfient des prix raisonnables pratiqués en galeries. Lorsque nous proposons des objets de qualité à des prix intelligents – à 30 % en dessous de ceux des enchères par exemple, cela est parfois mal interprété. Des gens pensent que, parce qu’ils sont moins chers, ils sont moins bons. » « C’est pourtant chez les antiquaires qu’on trouve des objets de qualité à des prix raisonnables », soutient à son tour Anthony Meyer, son confrère parisien en art d’Océanie, agacé par les « délires en ventes publiques chez Sotheby’s », qui donne le « la » du marché.
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Un marché de l’art à deux vitesses
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Légende photo :
Visiteurs s'attardant sur un tableau de Renoir, lors de la dernière édition de Tefaf, à Maastricht, en 2011. © Photo : Loraine Bodewes
Evolution du PIB et du CA des neuf premières SVV(1) de France (cliquer sur la vignette pour voir le graphique)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Un marché de l’art à deux vitesses