Au-delà des dispositifs de sécurité, la police comme les compagnies d’assurance ou les associations de particuliers conseille aux possesseurs d’objets d’art d’anticiper le vol en établissant des photos-fiches descriptives et en procédant au marquage de leurs objets.
Si l’on accepte de se priver du plaisir de contempler chez soi les œuvres d’art, la mise en garde apparaît comme la solution de protection la plus efficace. Pour les objets de petites dimensions, un coffre de banque suffit.?Ceux adaptés aux tableaux se louent entre 7 et 60 000 francs par an. Pour des meubles, des tapis, des tableaux ou des sculptures, plus importants, il faut se tourner vers des sociétés spécialisées, disposant de chambres fortes et ayant souvent le statut d’entrepôt sous douane. Mais cela ne sera le plus souvent qu’une solution provisoire…
Propriétaires désemparés
"Pour leur appartement ou leur maison, les propriétaires privés sont désemparés, et ils ne savent quelle protection adopter pour leurs objets de valeur, constate Geneviève de Fleurieu, déléguée nationale de SOS Œuvres d’art. Cette association, née en 1992 à la suite d’une vague de vols importants dans la zone Bourgogne-Centre Est, s’est donnée pour but d’aider les particuliers à protéger leur patrimoine mobilier.
"Les cambrioleurs les plus expérimentés arrivent toujours à trouver la parade aux systèmes de protection les plus sophistiqués et à entrer, même pour quelques minutes, dans les demeures, ajoute-t-elle. L’objectif doit être surtout de les retarder le plus possible par des moyens astucieux". Ainsi, elle estime qu’il faudrait développer les alarmes périphériques, qui donnent l’alerte avant que les voleurs ne soient déjà au cœur de la demeure. Les systèmes les plus sophistiqués ne sont pas nécessairement les plus efficaces. Beaucoup de particuliers, par exemple, n’osent pas brancher leur alarme de peur de contrarier leurs voisins. "Les sirènes intérieures sont à mon avis plus utiles. Le voleur a le sentiment que le hurlement s’entend de partout, et les voisins ne sont pas gênés par les déclenchements intempestifs", déclare Patrick de Buttet, président de l’APPAP (Action pour la protection du patrimoine artistique des particuliers)-Art expertise. De toute façon, de nombreux particuliers n’ont pas les moyens de se doter de systèmes de protection coûteux. "Entre l’assurance, l’installation puis la maintenance d’un système d’alarme, l’entretien d’un chien, le salaire d’un gardien, le budget de protection peut facilement atteindre 120 à 125 000 francs par an", remarque la déléguée nationale de SOS Œuvres d’art. "Nous conseillons avant tout aux particuliers de vérifier leurs serrures et de les renforcer," précise Jean-Michel Mimran, commissaire principal, chef de l’OCRVOOA (Office central pour la répression du vol d’œuvres et objets d’art).
Une enquête du Centre de documentation et d’information de l’assurance a montré que huit cambrioleurs sur dix entrent par la porte. Aussi quelques mesures simples suffisent-elles parfois à décourager les voleurs. "Dans le cas d’une propriété cambriolée cinq fois en trois ans, le propriétaire s’est finalement décidé à condamner le portail qui donnait sur un carrefour en étoile à proximité d’un sous-bois. Pour accéder à l’autre issue de la demeure, il faut passer devant trois maisons. C’est plus risqué pour les cambrioleurs", raconte Geneviève de Fleurieu. Patrick de Buttet, de son côté, donne à ses clients les conseils suivants : "Par exemple, supprimer les sacs de voyage qui facilitent la tâche des voleurs, inverser des tableaux, accrocher la toile de maître dans les toilettes avant de quitter son domicile, installer son coffre-fort dans la salle de bains et non dans la cave". Jean-Michel Mimran, lui, recommande aux particuliers d’être prudents dans l’exposition de leur patrimoine : "Nous ne sommes guère favorables à ce que les châtelains organisent des visites de leurs demeures. Certains cambrioleurs en profitent pour faire un repérage".
Au-delà des systèmes de protection, l’OCRVOOA et SOS Œuvres d’art encouragent les particuliers à faire l’inventaire de leurs biens. "Cela n’empêche pas d’être volé mais procure le sentiment d’avoir mis toutes les chances de son côté", reconnaît Geneviève de Fleurieu. "Pour confondre un receleur chez qui nous avons retrouvé des objets volés, nous avons besoin de preuves", signale Jean-Michel Mimran.
Quelques photos de famille
Dans la pratique, quand se produit un vol, le propriétaire n’a généralement pas fait d’inventaire précis de ses objets de valeur. Quelques photos de famille où apparaît en arrière-plan la commode Louis XV ne sont guère utiles pour aider à retrouver les objets. Et pour se faire indemniser par sa compagnie d’assurance, le propriétaire doit aussi apporter la preuve de l’existence, de l’authenticité et de la valeur des objets d’art.
Afin d’inciter ses adhérents à répertorier leurs biens de manière rigoureuse, SOS Œuvres d’art leur remet un jeu de photo-fiches accompagnées d’une bande graduée cartonnée. Posée près de l’objet pris en photo, elle permettra ensuite d’évaluer la dimension de celui-ci sur la prise de vue. Les particuliers remplissent eux-mêmes les fiches descriptives, qu’ils conservent ensuite en lieu sûr.
D’autre part, depuis l’an dernier un dossier type d’identification, mis au point par l’OCRVOOA avec les associations de particuliers et les compagnies d’assurance, est disponible dans les gendarmeries et les commissariats. "Nous avons besoin des photos des particuliers et d’éléments précis de description pour alimenter la banque de données-images que nous venons de mettre en service", explique Jean-Michel Mimran. Cette banque de données, appelée TREIMA, recense les objets déclarés volés en France et ceux, volés à l’étranger, signalés par Interpol. Elle remplace les dizaines de classeurs que les enquêteurs de l’Office devaient consulter pour identifier un objet retrouvé et susceptible d’avoir été volé. L’Office souhaite proposer à d’autres pays européens de se doter de cette banque de données."Nous voudrions obtenir la définition d’une norme descriptive européenne, ce qui faciliterait notre travail", ajoute-t-il. Les objets volés passent très rapidement d’un pays à l’autre ; une fois qu’ils ont franchi la frontière, la police a du mal à les suivre.
"Pour retrouver plus facilement leurs biens en cas de vol, nous conseillons aussi aux particuliers de procéder au marquage de leurs objets", précise Jean-Michel Mimran. Depuis quelques années, des techniques très sophistiquées ont fait leur apparition, de la peinture odoriférante repérée par des chiens à la résine fluorescente en passant par le stylo à synthèse d’ADN. Ces procédés sont généralement coûteux, entre 1 500 et 2 000 francs l’objet, et tous ne remplissent pas les conditions nécessaires : durer dans le temps, ne pas altérer ni dénaturer l’objet d’art, être invisible à l’œil nu. On s’est ainsi aperçu qu’une technique de marquage n’avait pas résisté à l’épreuve du temps. En outre, qualité technique ne signifie pas forcément rentabilité économique. "Une société de marquage a fait faillite et son fichier s’est trouvé un moment en perdition. Vous imaginez s’il était tombé entre les mains de malfaiteurs d’envergure", fait remarquer Jean-Michel Mimran.
Micro-cristaux coûteux
Dernier en date des procédés de marquage : les micro-cristaux à effet de mémoire. Ce procédé a été mis au point par le professeur Max Schvoerer de l’université de Bordeaux. Les cristaux de synthèse, fabriqués en laboratoire, sont codés. Chaque micro-cristal est différencié par les traitements subis en laboratoire et constitue ainsi une sorte d’empreinte digitale. Les cristaux sont posés sur l’objet en plusieurs endroits et sont invisibles à l’œil nu. "Ils constituent une preuve scientifique irréfutable, indestructible et infalsifiable", souligne Jean-Yves Poutiers de Micro Trace, la société qui commercialise ce procédé. Mais le coût de cette technique est élevé, environ 1 800 francs par objet, et le décodage des microcristaux se fait en laboratoire, ce qui prend du temps.
Les autorités sont pour l’instant prudentes en ce qui concerne les procédés de marquage. "Nous n’agréons aucun procédé actuellement. La méthode la plus efficace semble être pour l’instant le marquage personnel laissé à l’imagination de chacun, à condition que ce marquage soit scrupuleusement consigné par chaque propriétaire au cas où un vol se produirait Il vaut mieux un marquage sommaire que pas de marquage du tout", déclare Jean-Michel Mimran. De son côté, Geneviève de Fleurieu estime que "tant qu’un inventaire n’a pas été réalisé, le marquage n’est pas une nécessite impérieuse". "De toute façon, remarque Patrick de Buttet, il n’est pas sûr que les particuliers soient tous favorables à un marquage indélébile. Certains souhaitent pouvoir vendre discrètement un objet".
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un inventaire précis s’impose
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°26 du 1 juin 1996, avec le titre suivant : Un inventaire précis s’impose