De nombreux sites patrimoniaux semblent quasiment intacts, alors que les destructions dans les villes modernes sont innombrables. L’archéologie et l’histoire expliquent cette différence.
Turquie et Syrie. À l’heure où nous mettons sous presse, les séismes en Turquie et Syrie ont fait au moins 50 000 victimes et détruit plusieurs dizaines de milliers d’immeubles modernes, notamment en Turquie. Dans un pays connu pour ses séismes, les normes de construction antisismiques sont en théorie obligatoires, mais selon la chercheuse turque Gönül Tol, elles ne sont pas appliquées en raison de la corruption. Elle explique dans la revue Foreign Policy que, « à cause d’un non-respect des procédures d’attribution des marchés, les entreprises du secteur du BTP ont construit massivement dans des zones à risques », sans aucun contrôle. Parmi les immeubles effondrés, la plupart dataient de moins de dix ans et étaient construits en béton de piètre qualité.
En comparaison, d’après les premiers bilans, les monuments d’époque romaine, byzantine et arabe semblent avoir bien résisté. Ainsi la citadelle de Gaziantep [voir ill.] en Turquie (construite par les Romains et agrandie sous les Ottomans) qui a subi des effondrements multiples dus aux séismes, n’est pas détruite contrairement à ce que laissaient penser les premiers témoignages. De même, le site de Nemrut Dag avec ses sculptures monumentales qui font sa célébrité (Ier siècle avant J.-C.), inscrit au patrimoine mondial, semble avoir peu souffert [voir ill.].
Un état des lieux plus complet est en cours en Syrie, grâce à l’ONG Heritage for Peace (Patrimoine pour la paix) fondée par des archéologues syriens. Leur premier rapport concerne le nord de la Syrie, proche de l’épicentre du séisme, où « la situation du patrimoine était déjà difficile avant en raison de la guerre », soulignent les auteurs. Pour autant, l’essentiel des dégâts constatés sur les sites romains et médiévaux consiste en « des fissures verticales, des pierres effondrées, et des briques déplacées ». Dans les villages byzantins surnommés « villes mortes » du nord-ouest syrien (abandonnés au VIIe siècle), les archéologues ont relevé quelques éboulements de pierres et des fissures, mais aucun effondrement. Un des sites les plus touchés est le complexe de la citadelle arabe de Manbij (VIIe siècle de notre ère) où des arches se sont effondrées et où les sols de dalles sont largement fissurés. Cependant, les dégâts sont réparables comme le notent les archéologues. Ils soulignent que de nombreux sites avaient été « entretenus ou restaurés dans les années 1990 et 2000 », ce qui peut expliquer leur résilience face aux séismes.
Des mesures antisismiques dès l’Antiquité
Plusieurs facteurs peuvent expliquer une meilleure résistance des constructions antiques. Les Romains connaissaient les zones à risque de séismes, comme en attestent les récits d’historiens de l’époque et les mythes. L’historienne Rita Compatangelo-Soussignan, co-éditrice d’un ouvrage sur les phénomènes sismiques anciens en Méditerranée, rappelle ainsi que lors du tremblement de terre d’Antioche en 115, l’empereur Trajan faillit perdre la vie, un épisode relaté par l’historien romain Dion Cassius. Rentré à Rome, l’empereur ordonna que la hauteur des bâtiments dans les villes romaines soit limitée : faut-il considérer cette décision comme la première mesure antisismique ? Rita Compatangelo-Soussignan rappelle aussi que les experts ont longtemps considéré que « les sociétés antiques étaient incapables de prendre des mesures de prévention des séismes », une opinion aujourd’hui caduque. En effet, selon l’historienne Emanuela Guidoboni, spécialiste des séismes médiévaux et antiques, « les Romains ont construit en Anatolie et en Syrie avec des critères antisismiques plus contraignants qu’en Italie », une zone également à risque de séismes. Elle ajoute que « les Romains connaissaient les risques », ce que confirme la décision de Trajan sur la hauteur des immeubles. En outre, la construction en pierre et bois ainsi que les larges fondations augmentaient la résistance des bâtiments aux secousses sismiques.
Dans les villes turques et syriennes, l’urbanisme est peu régulé, d’autant que des villes comme Alep ont été occupées en continu pendant plus de 4 000 ans. Monuments hellénistiques et romains côtoient des hôtels particuliers abbassides (IXe et Xe siècles) ainsi que des mosquées et des hammams ottomans. La Direction générale syrienne des antiquités et des musées (DGAM) s’inquiétait dans les premiers jours des risques d’effondrement en série dans le centre historique des villes, et relevait de nombreux immeubles fissurés.
Concernant la vieille ville d’Alep, le Centre du patrimoine mondial de l’Unesco soulignait dès 2009 « l’absence de mécanismes de contrôle des services d’urbanisme, et l’absence de zone tampon » entre les quartiers historiques et la ville moderne. Il est probable que les sites antiques en périphérie des villes aient mieux résisté parce qu’ils étaient isolés et construits sur des sols durs, contrairement à de nombreuses villes turques édifiées sur de l’argile et du sable, une pratique dénoncée récemment par des experts turcs. Normes antisismiques, résistance des matériaux, restauration du patrimoine, autant d’enjeux pour la future reconstruction annoncée par Recep Tayyip Erdogan et Bachar Al-Assad au lendemain des séismes.
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Séismes au Proche-Orient : les sites antiques semblent avoir mieux résisté
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Séismes au Proche-Orient : les sites antiques semblent avoir mieux résisté