Scarpa, Daumier, Van Gogh...

De Québec à Ottawa, les expositions de l’été

Le Journal des Arts

Le 11 juin 1999 - 1125 mots

Carlo Scarpa à Montréal, Daumier et Van Gogh à Ottawa, Degas et Pissarro à Québec, l’été est la saison des grandes expositions dans la région, avec pour point d’orgue « le Québec des années 60 et 70 » au Musée d’art contemporain de Montréal et au Musée de la civilisation à Québec : deux institutions pour deux approches d’un thème ambitieux, l’art et la société.

Greffe moderne sur une vieille demeure victorienne, le Centre canadien d’architecture (CCA) semblait prédestiné à accueillir une exposition consacrée à Carlo Scarpa (1906-1978), passé maître dans l’inscription de la modernité dans des murs anciens. La transformation de palais anciens en musées a puissamment contribué à asseoir sa réputation : du palais Abatellis à Palerme à la Fondation Querini Stampalia à Venise, en passant par le Castelvecchio à Vérone, il fait coexister avec aisance les différentes strates historiques des bâtiments. La réhabilitation et la rénovation du patrimoine occupant aujourd’hui une si grande place dans toutes les villes occidentales, sa leçon prend toute sa valeur. En dialoguant avec l’art du passé, il est revenu à l’idée selon laquelle le travail artisanal, le respect des méthodes traditionnelles de construction et l’invention sur le chantier représentent, en architecture, les actes créateurs suprêmes. Sa méthode toute empirique se dévoile dans les 150 dessins réunis pour l’exposition, qui témoignent de son souci du détail et de son sens de la composition. Pour aider la lecture de ces dessins, plans, maquettes et, surtout, une soixantaine de photographies accompagnent cette présentation. La campagne photographique réalisée spécialement par Guido Guidi illustre les principales œuvres de l’architecte vénitien : outre les bâtiments déjà cités, l’extension de la glyptothèque Canova à Possagno et la tombe de la famille Brion à Trévise.

Avant de se consacrer pleinement à l’architecture, Carlo Scarpa avait travaillé dès 1926 à Murano pour l’industrie du verre. Directeur artistique de la maison Venini de 1932 à 1947, il impose des formes régulières et des volumes simples que l’on retrouve dans son vocabulaire architectural, et s’intéresse à de nouveaux développements techniques. Parallèlement à l’exposition du CCA, le Musée des arts décoratifs de Montréal présente une cinquantaine de pièces caractéristiques de ses recherches.
Si cette concomitance semble fortuite, deux autres institutions, le Musée d’art contemporain de Montréal et le Musée de la civilisation à Québec, se sont alliées pour organiser une exposition ambitieuse, évoquant une époque décisive de l’histoire de la province, les années 60 et 70 envisagées sous l’angle du rapport entre l’art et la société. En novembre 1968, sous le nom d’Opération déclic, un groupe d’artistes organise à la Bibliothèque nationale cinq jours de réflexion et de débats sur la situation des arts au Québec, et leur rapport aux mutations sociales.

Comme le reste du monde, la Belle Province a connu des soubresauts plus ou moins importants au cours de l’année 1968, mais la Révolution dite tranquille avait commencé depuis le début des années soixante, soumettant la société québécoise à une série de transformations économiques et sociales sans précédent. Autant de bouleversements qui ne pouvaient laisser insensible la communauté artistique. Le Musée d’art contemporain décline les différents modes d’inscription de la réalité sociale dans l’œuvre d’art, de l’impact du monde industriel et des technologies nouvelles sur les pratiques artistiques à l’essor du discours féministe. De son côté, le Musée de la civilisation s’est intéressé à la figure de l’artiste, établissant à cette occasion une typologie dont les catégories ne sont pas exclusives les unes des autres. L’un se fait animateur, avec des œuvres d’art requérant la participation du visiteur, l’autre militant, qu’il soit féministe ou nationaliste, tandis que le dernier adopte la démarche de l’anthropologue, n’hésitant pas à intégrer des éléments de la culture populaire dans son œuvre. En tout, ce sont plus de 200 œuvres et près de 90 artistes, de Betty Goodwin à Françoise Sullivan, de Serge Lemoyne à Melvin Charney, qui sont rassemblés entre Montréal et Québec. Où l’on vérifiera si l’art “peut changer le monde”.

Le XIXe en France
S’il ne peut, à proprement parler, transformer la société, l’artiste possède un indéniable pouvoir subversif et participe à l’éveil des consciences face à la tyrannie. Honoré Daumier (1808-1879) était de ceux-là. Ennemi féroce de la Monarchie de Juillet, il dénonce, dans ses caricatures, les abus et les compromissions du roi-bourgeois, ce qui lui vaudra un séjour à la prison Sainte-Pélagie. Lithographe d’exception, il devait bientôt aborder les rives de la peinture et de la sculpture, sans se départir de sa verve militante. Ainsi, le Ratapoil exprime-t-il son opposition à tout retour de l’Empire. Pendant de cette veine politique, son attention constante aux petites gens, lavandières ou comédiens, fait de lui un incomparable chroniqueur de son temps. Avant Paris et Washington, Ottawa accueille la première rétrospective consacrée à Daumier, rassemblant aussi bien ses lithographies que ses tableaux et ses sculptures, montrant ainsi les circulations entre les diverses techniques.

Le Musée des beaux-arts du Canada ne possède pas moins de trois Van Gogh, parmi lesquels une version des Iris. Autour de ce chef-d’œuvre sont réunis, le temps d’une exposition, six peintures, dont celle du Musée Getty, et deux œuvres sur papier développant ce motif. Plus inattendues, les estampes de Degas et de Pissarro au Musée du Québec illustrent une facette plus secrète de leur talent, à travers 90 œuvres – eaux-fortes, lithographies et monotypes – provenant en majorité d’une collection particulière suisse.

- CARLO SCARPA, ARCHITECTE : COMPOSER AVEC L’HISTOIRE, jusqu’au 31 octobre, Centre canadien d’architecture, 1920 rue Baile, Montréal, tél. 1 514 939 7000, tlj sauf lundi et mardi ; mercredi-vendredi 11h-18h, jeudi 11h-20h, samedi-dimanche 11h-17h. - CARLO SCARPA À MURANO : CRÉATIONS EN VERRE D’UN ARCHITECTE (1926-1947), jusqu’au 11 septembre, Musée des arts décoratifs, 2200 rue Crescent, Montréal, tél. 1 514 284 12 52, tlj sauf lundi et jf 11h-18h, mercredi 11h-21h. - DAUMIER, jusqu’au 6 septembre ; LES IRIS DE VAN GOGH, PLEINS FEUX SUR UN CHEF-D’ŒUVRE, jusqu’au 19 septembre, Musée des beaux-arts du Canada, 380 promenade Sussex, Ottawa, tél. 1 613 990 1985, tlj 10h-18h, jeudi 10h-20h à partir du 1er juillet. - DEGAS ET PISSARRO, ALCHIMIE D’UNE RENCONTRE, 17 juin-22 août, Musée du Québec, Parc des Champs-de-Bataille, Québec, tél. 1 418 646 3330, tlj 10h-17h45, mercredi 10h-21h45. - DÉCLICS, ART ET SOCIÉTÉ, LE QUÉBEC DES ANNÉES 60 ET 70, Musée d’art contemporain, 185 rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal, tél. 1 514 847 6226, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-21h ; Musée de la civilisation, 85 rue Dalhousie, Québec, tél. 1 418 643 2158, tlj sauf lundi 10h-17h jusqu’au 23 juin ; du 24 juin au 6 septembre, tlj 10h-19h. - Pour se rendre sur place : Tourisme Québec, n° vert 0 800 90 77 77, www.tourisme.gouv.qc.ca Vacances Air Canada tél. 01 40 15 15 15 vols AR sur Montréal à partir de 2700 F.

Le Canada en France

En collaboration avec le Musée de la civilisation à Québec, le Musée des arts et traditions populaires à Paris met en scène, jusqu’au 10 janvier, les “images�? et les “mirages�? dont se nourrissent les relations franco-québécoises. Une première partie s’attache à l’histoire commune des deux pays jusqu’à ce que la France abandonne la Belle Province à l’Angleterre en 1763, tandis que la seconde interroge les représentations et les clichés entretenus par la distance, du bûcheron décontracté dans sa cabane à l’intellectuel arrogant et prétentieux. “Osopikahikiwak�?, sous ce titre mystérieux, le Centre culturel canadien présente, jusqu’au 1er octobre, deux peintres d’origine amérindienne, Jane Ash Poitras et Rick Rivet, qui, chacun à leur manière et à des degrés divers, mêlent traditions autochtones et pratiques contemporaines. Par ailleurs, le photographe Roberto Pelligrinuzzi a conçu un projet spécifique pour la Maison européenne de la photographie (jusqu’au 5 septembre).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Scarpa, Daumier, Van Gogh...

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