NEW YORK / ETATS-UNIS
Carmen C. Bambach publie le 25 juin prochain une étude attribuant le tableau en grande partie à un assistant du maître.
On ne peut plus le voir, mais on n’en a jamais autant parlé. Le Salvator Mundi reste invisible pour le public depuis sa vente fracassante chez Christie’s pour 450 millions de dollars : un record mondial établi en novembre 2017 par la maison de vente londonienne, acquis, pense-t-on, par un prince saoudien proche de l’héritier Mohammed Ben Salman. Cette absence a ouvert la porte aux spéculations les plus fantaisistes, mais a aussi laissé le champ libre aux doutes de nombreux experts, pour qui l’attribution à Léonard reste discutable. La conservatrice au Metropolitan Museum, Carmen C. Bambach, l’une des spécialistes de Léonard les plus écoutées, rejoint ce concert de voix dissonantes.
Le Guardian révèle que l’historienne de l’art n’aurait pas apprécié l’utilisation de son nom par la maison de ventes afin de légitimer l’attribution à Léonard. Sur la fiche d’information du tableau, Christie’s cite le nom de Bambach par trois fois, parmi une liste d’experts reconnus : « L’étude et l’analyse du tableau par ces chercheurs a abouti à un large consensus sur l’attribution du Salvator Mundi à Léonard de Vinci », précise le site de la maison de ventes.
« Ce n’est pas représentatif de mon opinion » a asséné dimanche dernier l'historienne de l'art dans les colonnes du Guardian. Si en 2008, Carmen C. Bambach a bien été invitée par la National Gallery à voir le tableau, elle n’a jamais donné son blanc-seing quant à l’utilisation de son nom. Début mai 2019, elle dit avoir reçu un email de la National Gallery, lui demandant si elle accepterait de voir son nom publié parmi ceux des chercheurs ayant vu le Salvator Mundi en 2008. Ce à quoi elle a refusé de répondre : « Si mon nom est sur cette liste, cela signifie tacitement que je suis d’accord avec l’attribution. Ce qui n’est pas le cas. »
Dans une étude-somme publiée le 25 juin prochain par l’université de Yale, Carmen C. Bambach attribue la majorité du tableau à un assistant du maître, Giovanni Antonio Boltraffio. Selon elle, Léonard ne serait l’auteur que de quelques retouches, trop insignifiantes pour considérer le Salvator Mundi comme autographe. Elle rejoint l’avis de Jacques Franck, expert consultant pour le Louvre, pour qui l’œuvre est probablement celle d’un assistant : les drapés, les cheveux, et le manque général de relief ne peuvent pas être de la main de Léonard. En 2018, Matthew Landrus de l’université d’Oxford exprimait déjà des réserves similaires.
Les doutes sur l’attribution s’intensifient en 2019, avec la publication de Salvator Mundi : The Last Leonardo en avril dernier. Cet ouvrage du documentariste et critique d’art Ben Lewis retrace sous la forme d’un roman d’espionnage l’histoire chaotique de ce présumé Léonard. Son travail minutieux met à mal l’hypothèse selon laquelle le Salvator Mundi aurait fait partie de la collection de Charles I : cette provenance est pourtant l’une des clefs de voûte de l’attribution à Léonard pour la National Gallery.
Dans la foulée de cette publication, Ben Lewis révélait que la plupart des conservateurs du Louvre ne souhaitaient pas présenter le tableau en tant qu’œuvre autographe, lors de l’exposition des 500 ans de Léonard, mais plutôt comme « atelier de... ». D’autres experts comme Frank Zöllner font désormais publiquement état de leurs doutes dans des publications universitaires.
Ensemble, ces critiques pèsent assez pour qu’un tabloïd britannique titre spectaculairement la semaine dernière « Mohammed Ben Salman dépense 450 millions de dollars pour un faux Léonard ».
L’attribution de l’œuvre à Léonard reste cependant défendue par la National Gallery, qui a exposé le tableau pour la première fois en tant que Léonard en 2011, et d’autres experts tels que Luke Syson ou Martin Kemp.
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Salvator Mundi : une conservatrice en chef du Met conteste l’attribution à Léonard
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