PARIS
Le rapport Sarr-Savoy, qui préconise un large retour d’artefacts africains, suscite de nombreuses critiques. Le gouvernement veut calmer le jeu en mettant maintenant plutôt en avant la « circulation » des œuvres.
Paris. Depuis la remise, le 23 novembre, du rapport sur la restitution du patrimoine africain par les universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr (lire le JdA no 512, 30 novembre 2018), les réactions se sont multipliées à la suite de ce plaidoyer pour le retour en Afrique d’œuvres présentes dans les collections publiques françaises.
La première charge est venue du principal intéressé, Stéphane Martin. Bien qu’ayant participé aux réunions de travail du rapport, le président du Musée du quai Branly-Jacques Chirac dénonçait au micro d’Europe 1 le 25 novembre un rapport « qui n’aime pas les musées ». « Je veux qu’on parle d’art, de partage et pas que l’on ressasse éternellement un ressenti qui est tout à fait réel mais qui n’a rien à voir à mon avis avec une politique patrimoniale », ajoutait-il. L’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon l’avait précédé de quelques heures dans une tribune parue dans le Figaro qui dénonçait ce rapport dont « la mise en œuvre des recommandations aurait pour effet de vider les collections africaines des musées français ».
De son côté, le Syndicat national des antiquaires (SNA) a regretté ne pas avoir été associé à l’élaboration du rapport. Dans un communiqué au vitriol, le SNA explique qu’« aucun acteur du marché de l’art spécialisé en arts premiers n’a été consulté. Seul un antiquaire belge reconnu pour cette spécialité a été rencontré par les auteurs ».« Cette indifférence coupable à nos yeux traduit le manque de précision, de rigueur des rapporteurs et un parti pris qui affaiblissent leurs conclusions », L’Académie des beaux-arts a également pris position le 29 novembre. Dans un communiqué court et concis, la vénérable institution a tenu « à réaffirmer le principe intangible d’inaliénabilité des collections nationales, indissociable de cette conception généreuse et ouverte du musée ».« L’Académie estime également légitime de donner accès à tous les peuples sur leurs territoires aux chefs-d’œuvre artistiques de leurs civilisation. Elle affirme aussi que l’inaliénabilité des collections nationales, garantie par la loi, n’interdit en rien cette indispensable circulation des œuvres […]. D’éventuels déclassements ne peuvent être envisagés qu’au cas par cas. » En clair, l’Académie refuse la proposition des auteurs d’aménager le Code du patrimoine dans l’objectif de restituer un grand nombre d’œuvres et d’objets.
Conscient du caractère sensible du sujet, le gouvernement a cherché à temporiser dès le jour de la remise du rapport. Après une réunion avec le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et le ministre de la Culture, Franck Riester, le président Emmanuel Macron a annoncé souhaiter « que toutes les formes possibles de circulation de ces œuvres soient considérées : restitutions, mais aussi expositions, échanges, prêts, dépôts, coopérations, etc. » ; un cycle de rencontres sur le sujet devrait être organisé au premier trimestre 2019.
Le 1er décembre, après une semaine de polémiques, Franck Riester a réitéré cette position dans un entretien au Journal du Dimanche : « Notre objectif est très clair : les jeunes Africains doivent avoir accès à leur patrimoine, mais aussi à celui de l’humanité. Cela passe par des restitutions, mais aussi par des prêts, des dépôts à long terme, des expositions, des échanges d’ingénierie muséale. Il ne s’agit pas de vider les musées mais de travailler étroitement avec eux sur l’objectif de faire circuler les œuvres. » Le ministre insiste : « Cela ne passe par forcément par un transfert de propriété. » Sans néanmoins exclure les restitutions : « L’inaliénabilité des œuvres est un principe important mais, comme tout principe, il peut y avoir des exceptions », laissant la voie ouverte aux demandes de restitutions des États africains (lire l’encadré). Les discussions voulues par l’Élysée au début de l’année 2019 s’annoncent ardues.
Les réclamations se multiplient
En Afrique. Au Sénégal, le rapport Sarr-Savoy a suscité l’enthousiasme. Le 6 décembre, le pays a fêté en grande pompe l’inauguration de son « Musée des civilisations noires » à Dakar. Ce musée représente un don de 20 milliards de francs CFA (près de 30,5 M€) de la Chine au Sénégal. Dans ce contexte, le ministre sénégalais de la Culture, Abdou Latif Coulibaly, a affirmé que le Sénégal souhaitait la restitution par la France de « toutes les œuvres identifiées comme étant celles du Sénégal ». Au Bénin, le gouvernement s’est réjoui de l’annonce par Emmanuel Macron de la restitution de 26 pièces majeures conservées actuellement au Quai Branly. Le pays, qui s’est lancé dans la construction de quatre musées, a affirmé vouloir poursuivre le processus de discussion. La Côte d’Ivoire a d’ores et déjà dressé la liste d’une « centaine de chefs-d’œuvre », parmi lesquels le Djidji Ayokwe, tambour parleur du peuple Ebrié, conservé au Quai Branly. En République démocratique du Congo (RDC), on compte bien se tourner vers la Belgique, ancien pays colonisateur. La RDC va lancer une requête officielle auprès de la Belgique. À Kinshasa, un nouveau musée doit ouvrir en 2019 en colaboration avec la Corée du Sud.
Francine Guillou
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Restitutions aux pays africains, la polémique prend de l’ampleur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : Restitutions aux pays africains, la polémique prend de l’ampleur