Si les modernes n’ont souvent pas pu accomplir leur rêve de « grandes séries », des fabricants ont pris le parti de rééditer certaines pièces phares de Prouvé, Gray, Mallet-Stevens, etc. Mais même plus accessible, la série a toujours un prix.
l y a trente ans pile-poil, celle qui n’était pas encore la diva de la décoration, Andrée Putman, fonde sa propre agence, Écart International. Si d’un côté elle engrange ses premières commandes d’aménagement intérieur, de l’autre, à travers son goût pour le mobilier des années 1930, elle entame un travail de réédition de meubles, luminaires et objets du « patrimoine du début du siècle ».
En 1965, Cassina sortait déjà sa collection « Les Maîtres »
Andrée Putman acquiert les licences de designers prestigieux et, en archéologue de la modernité, exhume notamment quelques pièces maîtresses d’as de l’UAM, tels Pierre Chareau, Eileen Gray ou encore Robert Mallet-Stevens, dont la fameuse chaise empilable en tube et tôle d’acier (1930-1932) de ce dernier, encore disponible aujourd’hui (200 euros).
Plus précoce, la firme italienne Cassina avait lancé dès 1965, l’année de la mort de Le Corbusier, la collection I Maestri (« Les Maîtres »), initiant notamment un travail sur l’œuvre de Le Corbusier. Sont aujourd’hui fabriqués une quinzaine de modèles dont la chaise LC7 (1 165 euros), la table haute LC6 (2 125 euros), la chaise longue LC4 (2 575 euros)… sans oublier les casiers Standard (de 1 120 à 2 100 euros selon la configuration), ce système de meubles de rangement conçu pour le pavillon de l’Esprit nouveau, en 1925.
Autre « maître » dont la société transalpine réédite des pièces : Charlotte Perriand. Son fauteuil Ombra coûte 1 505 euros et le bahut Riflesso 4 305 euros.
Vitra propose même de nouveaux coloris pour la chaise Standard
En 2002, c’est au tour du fabricant de mobilier suisse Vitra de relancer la fabrication de meubles de Jean Prouvé. Il devient pour l’occasion l’éditeur exclusif du mobilier du « tortilleur de tôle » nancéen. On trouve aujourd’hui au catalogue une douzaine de pièces dont la chaise Antony (886 euros), le luminaire Potence (999 euros), le bureau Compas (2 315 euros), le fauteuil Cité (à partir de 2 766 euros), la table Trapèze (à partir de 3 626 euros) ou le bahut dit Pointes de diamant (7 554 euros), dessiné en 1951. Avec l’accord de la famille, de légères modifications formelles dues aux techniques de production actuelles ont été apportées, sans trahir toutefois l’apparence des modèles d’origine.
Le « mythique » siège Standard vaut 611 euros. Pour une chaise, le prix est certes dispendieux. Il reste cependant cinq fois moins cher que celui de sa version la plus courante – en l’occurrence, métal et bois – en salles de ventes (lire encadré p. 32). Histoire sans doute de se mettre au goût du jour, Vitra propose même une nouvelle gamme de coloris pour la partie métallique (rose pâle, aubergine…) ainsi que des variantes pour l’assise et le dossier.
On ne sait si Prouvé aurait apprécié, lui qui, à la fin de sa vie, confiait : « Mon idée était d’atteindre la grande série : j’en ai toujours rêvé mais on ne m’en a jamais donné l’occasion » (Jean Prouvé par lui-même, éditions du Linteau, 2001). Son vœu paraît en tout cas avoir été exaucé, même à titre posthume.
Certes, les puristes pourront toujours objecter qu’un mobilier réédité (donc flambant neuf) manque d’âme. Arguments de taille pour les marchands notamment. Mais, on l’aura compris, la nature des pièces est fatalement différente : il ne s’agit ni des mêmes objets, ni des mêmes clients, ni des mêmes lieux de vente.
Dans cinquante ans, quels prix atteindront les rééditions ?
Et pour le moment, les rééditions n’entament en rien l’intérêt pour les pièces historiques. D’autant que les meubles réédités sont clairement identifiés. Exemple : Cassina met un point d’honneur à marquer chacune de ses pièces d’un marquage distinctif, façon impression indélébile, tandis que Vitra a dévoilé, elle, en avril dernier, au Salon du meuble de Milan, un nouvel estampillage des pièces, lequel est mis en œuvre dès cette année.
Une question se pose cependant : une réédition est, certes, aujourd’hui moins cotée qu’une pièce originale, mais qu’en sera-t-il dans cinquante ans ?
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Réédition vs original, le retour des serial designers
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Réédition vs original, le retour des serial designers