C’est en 1951 que le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru choisit Le Corbusier pour réaliser la ville de Chandigarh, capitale du Pendjab. L’architecte dessine le plan directeur et les bâtiments emblématiques – l’Assemblée, le Secrétariat, la Haute Cour –, et charge son cousin Pierre Jeanneret d’aller sur place pour superviser les chantiers. Ce dernier y séjournera à plusieurs reprises, entre 1952 et 1965.
L’Inde s’insurge de se voir « pillée »
Outre le contrôle des chantiers de « Corbu », Jeanneret y entreprend un travail personnel, signe plusieurs édifices et dessine une série de « meubles économiques » – « Low Cost Furniture » – qui équiperont différents bâtiments, publics ou privés. Un mobilier de conception simple et aux lignes rigoureuses, fabriqué avec des matériaux locaux – exemple : structure en teck avec assise et dossier en cannage traditionnel.
Longtemps « oubliée », l’œuvre de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret à Chandigarh effectue, depuis quelques années, un retour en grâce, sous l’action et l’œil expert de marchands français, lesquels ont racheté moult mobiliers réformés par l’administration. Suite notamment à la vente, le 5 juin 2007, par Christie’s, à New York, d’une cinquantaine de lots provenant de la capitale du Pendjab – dont une bibliothèque en teck adjugée à 96 000 dollars (71 111 euros) –, les Indiens se sont émus de cette surenchère spéculative et des prix faramineux atteints par ces pièces. Le magazine indien Outlook a ainsi titré : « De rusés marchands français pillent l’héritage de Le Corbusier à Chandigarh et le vendent à l’étranger » (article de Chander Suta Dogra, du 9 juillet 2007). Depuis, les autorités locales tentent de réagir.
L’engouement du marché pour Chandigarh
Quoi qu’il en soit, le 15 avril dernier, à l’hôtel Dassault à Paris, lors de la vente Artcurial intitulée « Modern Design for Living », a été adjugée une nouvelle série de pièces issues de ce vaste chantier de Chandigarh et signées Pierre Jeanneret. Une table basse « tronc d’arbre » (c. 1956) avec piètement en fer rond – estimation : 50 000/60 000 euros – est partie à 94 200 euros, tandis qu’une bibliothèque haute pour périodiques (c. 1960) en teck et en tôle d’aluminium, provenant de la salle de lecture de l’Assemblée – estimation : 40 000/50 000 euros –, a atteint 130 100 euros. Deux bornes d’éclairage en béton armé qui équipaient le zoo de Chandigarh sont, elles, parties à 26 000 euros (chacune). Enfin, une « plaque de regard de canalisation », autrement dit une plaque d’égout, codessinée avec Le Corbusier et datant de 1955, a été adjugée… 18 600 euros !!!
Coïncidence ou pas, sur les sept pays – France, Suisse, Allemagne, Belgique, Inde, Argentine et Japon – qui œuvrent depuis 2002 à la reconnaissance de « l’œuvre architecturale et urbaine de Le Corbusier », un seul manquait à l’appel le 30 janvier dernier, à Paris, au moment de signer le dossier d’inscription à la prestigieuse liste du Patrimoine mondial de l’humanité, dont le verdict sera rendu en juillet 2009 : l’Inde. Ce qui a obligé les responsables dudit projet d’inscription à retirer en catimini une pièce maîtresse de l’œuvre urbaine de « Corbu » : le plan d’urbanisme de Chandigarh. On ne sait précisément, pour l’heure, si les deux histoires sont liées…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le cas Chandigarh de « Corbu » et Jeanneret
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Le cas Chandigarh de « Corbu » et Jeanneret