Atout populaire de Nicolas Sarkozy, Frédéric Mitterrand aura été un ministre de la Culture versatile et velléitaire. Avec un goût prononcé pour la provocation.
« Frédo » – surnom dont beaucoup l’affublent – se serait-il mué en homme politique ? Rue de Valois où il reçoit, à quelques jours de la période de réserve électorale qui l’obligera au silence médiatique, le toujours ministre Frédéric Mitterrand affecte de prendre des airs graves. Peu amateur de rencontres en tête-à-tête avec la presse écrite spécialisée, il tâche de répondre méticuleusement aux questions qui lui sont posées sur son bilan. Quitte à prendre la pose en digne successeur de Malraux ou Lang, en ces lieux encombrés des souvenirs glanés au cours de ses déplacements aux quatre coins du monde où l’aura mené son activité de VRP de la culture française. Car, quelle que soit l’issue de la prochaine élection présidentielle, son portrait figurera dans le corridor des ministres, à la suite de celui de la pâle Christine Albanel, à qui il aura annoncé bien maladroitement son départ du ministère, en juin 2009. Mais à la manière qu’a aujourd’hui Frédéric Mitterrand de poursuivre frénétiquement les déplacements, de continuer à consulter, d’édicter un programme d’action qu’il aimerait pouvoir mener – « notez-le car vous verrez que la gauche, qui n’a pas d’idées sur la culture, les reprendra ! » – le ministre n’insinue t-il pas qu’il se verrait bien rester à son poste, au cas où… ? Cela, même si son administration espère rapidement pouvoir tourner la page de ce ministre versatile à souhait, dont il aura fallu souvent amender les sorties un peu trop hâtives. L’hebdomadaire Le Point l’a toutefois récemment conforté, en publiant une déclaration de Nicolas Sarkozy à la fois sibylline et encourageante, parlant d’un « des ministres de [son] gouvernement les plus appréciés des Français ». Frédéric Mitterrand le lui rend bien, se plaisant à insister sur leur proximité « beaucoup plus grande que certains médias ne le disent ». « J’ai été choqué par ce que les gens ont pu dire de Nicolas Sarkozy et de la culture, poursuit-il. Il n’aime pas qu’on lui donne des leçons mais il a un très grand respect pour le monde de la culture. Et une grande confiance en son ministre. » Et de préciser, comme si cela n’allait pas de soi : « J’ai été associé à toutes les grandes décisions. » Certains tousseraient en entendant cela. Comme le cinglant Frédéric Martel, compteur déclaré du « Sarkozysme culturel » et auteur d’un pamphlet très bien informé qui raconte par le menu comment le ministre a été soigneusement bordé, par les conseillers du président, dont Olivier Henrard, sorti par la porte Rue de Valois pour cause d’antagonisme avec un favori du ministre, et revenu par la fenêtre… à l’Élysée (1). Ou encore par l’homme de l’ombre de Matignon, Jean de Boishue, conseiller pour la culture de François Fillon. C’est auprès de ce dernier que les moindres faits et gestes du ministre auraient été contrôlés de manière hebdomadaire, comme l’étaient ceux de Christine Albanel.
Une arrivée en fanfare dans le circuit ministériel
Après des débuts calamiteux – ceux d’une auto-annonce de sa nomination, puis de l’affaire liée à son soutien à Roman Polanski –, le neveu de François Mitterrand aimerait aujourd’hui montrer que, comme tous les hommes politiques, il sait aussi se jouer de la vérité en affectant une posture. Les habits de ministre auront pourtant été bien difficiles à endosser pour cet éternel provocateur, issu d’une haute bourgeoisie parisienne comptant dans ses rangs hauts fonctionnaires et militaires, ancien élève du lycée Janson de Sailly devenu un exploitant de salles de cinéma lourdement endetté, puis un animateur vedette de la télévision, au style sirupeux. Capable autant de se travestir, un jour en Lana Turner, juché sur un trapèze, que de rédiger des chroniques délurées pour le magazine gay Têtu. Pourtant, sa nomination avait constitué dans les milieux culturels, l’espoir d’une brève éclaircie après le coup de massue de la création du Conseil de la Création artistique, antichambre élyséenne de la Rue de Valois, qui avait miné Christine Albanel. Le tout premier discours au Sénat, lors du vote solennel de la loi autorisant la restitution des têtes maoris, était vibrant avec ses accents malruciens nés sous la plume d’un conseiller depuis reparti vers d’autres horizons. Cette référence, ambivalente à souhait – Malraux a été aussi brillant écrivain qu’un ministre de la Culture parfois peu concerné – qui aura marqué les premiers mois, est aujourd’hui balayée. Pour Frédéric Mitterrand, l’exemple à suivre est désormais celui de Michel Guy, « l’inventivité et l’imagination au pouvoir », furtif ministre de Jacques Chirac (1974-76) et très proche de Georges Pompidou, parti avant d’avoir pu achever son projet – et qui fut aussi le mentor d’un certain Jean-Jacques Aillagon, ennemi aujourd’hui déclaré de Mitterrand. La droite moderne, en somme, quand Malraux serait plutôt à ranger dans la catégorie des dinosaures du gaullisme.
Plus médiatique que politique
Dès l’automne 2009, le manque de préparation et de connaissance des dossiers aura toutefois rattrapé très rapidement le ministre, épaulé par un cabinet – depuis sensiblement renouvelé – constitué de bric et de broc, avec un reliquat du cabinet de Christine Albanel et quelques amis, très proches mais peu aguerris aux affaires d’un ministère. Sensible à la lumière des grands médias, l’ancien animateur de télévision savait que peu d’observateurs seraient là pour assister au fastidieux premier exercice budgétaire. Les députés avaient pourtant répondu présents. Gauche et droite confondus, ils auront tous été choqués par la désinvolture d’un ministre qui, de surcroît, avait avalé la couleuvre d’un article de loi rajouté en catimini par Matignon – plus tard censuré. Sans qu’aucun parlementaire n’en fut averti. Avant même l’affaire Polanski, puis celle de son sulfureux ouvrage, La mauvaise vie, paru en 2005, la lune de miel s’était donc brisée net sur le manque de sérieux d’un ministre plus sensible aux coteries courtisanes qu’aux notes de son administration. Et si Frédéric Mitterrand, à qui son oncle, figure tutélaire ambiguë, aurait un jour reproché de « gâcher son talent » par fainéantise, n’était au ministère qu’un simple directeur artistique, recruté uniquement pour son taux de popularité auprès des Français ? Maintenu dans ses fonctions après le scandale malgré les remaniements ministériels et les grèves dures dénonçant la réforme du ministère, Frédéric Mitterrand fera acte de contrition sur ses séjours en Thaïlande en direct sur TF1 – ignoble punition –, puis en s’obligeant à un long silence médiatique. Lentement les conférences de presse se sont donc vidées de la foule des simples curieux ou amateurs de scandales. Et même Paris Match lui aura fait faux bond, dans la dernière ligne droite, plantant une exclusivité sur l’exposition « Plaisirs de France » à Bakou (Azerbaïdjan), qui aurait produit de belles images d’un ministre, revenu au temps de la splendeur de ses émissions télévisuelles vantant le gotha, au bras de la première dame d’Azerbaïdjan. Car un ministre au travail n’intéresse guère. De fait, la communication de la Rue de Valois aura toujours été assez déconcertante. Souvent agressif et provocateur avec la presse, Frédéric Mitterrand aura parfois manqué d’insister sur quelques-uns de ses arbitrages, fussent-ils importants. « On me reproche souvent que je plastronne et parfois de ne rien dire », concède t-il. Comme si le ministre peinait lui-même à hiérarchiser ses priorités. Son dernier ouvrage, Le Désir et la Chance (2), en est l’illustration, alignant des pages entières de flagorneries et d’autojustification, quitte à omettre de faire passer une quelconque idée de sa vision pour la culture. Frédéric Mitterrand le concède : « C’est un ouvrage de circonstance qui visait à “déshystériser” le débat sur la culture. Mais il est trop long de 100 pages et compte trop de compliments ». Comme toujours, en bon catholique — « J’ai eu une éducation très catholique, racontait-il récemment, à Chartres, c’est après que ça c’est gâté » –, le ministre se repent. Comme il le fera plus tard après ses déclarations inopportunes sur les bienfaits du régime du président tunisien Ben Ali, pays de cœur du ministre, dans une attitude schizophrénique souvent difficile à gérer pour l’aréopage de conseillers et de directeurs d’administration qui l’accompagnent quotidiennement sur les routes. Volontiers affable lors de ses déplacements, Frédéric Mitterrand peine ainsi souvent à dire non à des élus obséquieux, soucieux d’obtenir un arbitrage favorable sur lequel le ministre n’a souvent pas de religion établie. Et doit essuyer les coups de coude de son entourage pour éviter l’embardée.
« Je vais bientôt vous libérer »
Malgré ce caractère baroque, ces trois années passées Rue de Valois auront fait de Frédéric Mitterrand le titulaire du portefeuille de la Culture le plus « durable » du quinquennat de Nicolas Sarkozy. De quoi se construire, bon an mal an, une image de ministre. « Les gens ont été surpris de me voir relativement performant », n’hésite-t-il pas à dire, qualifiant son ministère de lieu d’incitation ayant à faire face à des demandes croissantes, du fait de l’extension du champ culturel. D’où une « solitude accrue du ministre pour y faire face ». Tout en répétant qu’il n’est aujourd’hui candidat à rien, le ministre, qui se revendique « atypique mais sérieux, concerné et bienveillant », plaide en faveur d’un temps long, clef de la réussite Rue de Valois. Certains aimeraient pourtant déjà le voir abandonner sa berline de la République et reprendre son scooter pour quitter le Palais Royal, comme François Hollande qui, en marge de la cérémonie des Victoires de la Musique, lui aurait lancé « je vais bientôt vous libérer ». D’autres l’annoncent à la tête du Festival de Cannes, comme un retour logique aux paillettes et aux stars qu’il aime côtoyer. « Jamais ! Je n’ai rien imaginé et je déteste cette idée de m’occuper de moi ainsi ! », jure l’intéressé. « Une chose est sûre, je ne serai jamais un éternel ministre de la Culture, comme Jean-Jacques Aillagon et tant d’autres. Mon passage au ministère aura été un chapitre romanesque de plus de ma vie. Mais tourner la page ne veut pas dire qu’on brûle le livre. » D’ici peu, Frédéric Mitterrand devrait donc savoir si le temps est venu d’écrire ce vrai roman. Loin des mensonges de la politique.
1947 : Naissance à Paris
1968 : Diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris
1971 : Direction du cinéma Olympic à Paris
1981 : Animateur à la télévision
2008 : Directeur de la Villa Médicis
2009 : Ministre de la Culture et de la communication
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Portrait : Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture
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(1) Frédéric Martel, J’aime pas le Sarkozysme culturel, Flammarion.
(2) Frédéric Mitterrand, Le Désir et la Chance, Robert Laffont
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Portrait : Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture