Politique culturelle

Pass culture, la Cour des comptes enfonce le clou

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 1046 mots

Les magistrats confirment ce que l’on sait déjà : le Pass coûte cher et ne remplit pas ses objectifs de diversité des pratiques culturelles.

France. Les critiques sur le Pass culture sont récurrentes depuis ses débuts et Rachida Dati se démène depuis quelque temps pour tenter de sauver l’un des trois programmes phares d’Emmanuel Macron. Comme le glissait Pierre Moscovici (voir ill.), devant la presse le 17 décembre dernier, c’est la première fois qu’un rapport de la Cour des comptes est largement anticipé par l’État. Le premier président a tenu personnellement à présenter le nouveau rapport de la Cour, qui fait suite à un premier audit, il y a moins de dix-huit mois, afin de « délivrer trois messages ».

Le premier est pour saluer l’incontestable réussite quantitative du Pass. Depuis son déploiement en 2021, 4 millions de jeunes en ont profité atteignant 84 % de la dernière classe d’âge. Mais derrière ces chiffres très importants se cache une première réalité moins réjouissante : les enfants issus de milieux modestes ne sont que 68 % à avoir activé leur Pass alors qu’il est pourtant très facile de s’inscrire. Cela reste un taux élevé mais qui signale bien le problème principal du Pass comme l’écrit la ministre dans sa lettre de réponse à la Cour : « Il n’est pas devenu l’outil de démocratisation culturelle qu’il a pour objectif d’incarner. »

Ce déficit de démocratisation culturelle se conjugue par ailleurs avec un déficit dans la diversité des pratiques culturelles telles que le montrent les commandes. Plus de la moitié des réservations sont des livres (dont les fameux mangas qui sont cependant en baisse), suivi par l’achat de places de cinéma. Les réservations pour le théâtre ou la danse ne représentent que 7 % du total. On touche ici au point le plus sensible du Pass qu’illustre un autre chiffre : en moyenne depuis 2011, 88,6 % des réservations s’effectuent à partir du moteur de recherche, « ce qui signifie, expliquent les magistrats, que les jeunes savent déjà ce qu’ils cherchent ».

Le Pass ne fait donc que conforter les pratiques connues avec un effet d’aubaine. Il faut dire aussi que les utilisateurs sont noyés sous les offres : il y en a plus de 140 millions (dont 86 millions de livres) venant de 36 000 offreurs. Malgré les efforts d’éditorialisation du contenu et de recommandations algorithmiques, les utilisateurs, « en totale liberté », réservent ce qu’ils ont bien envie d’acheter. Ce ne devrait pourtant pas être une surprise pour quiconque a des « ados »dans son entourage. Ils ont été nombreux à dénicher les offres d’escape games avant que la SAS Pass culture ne mette fin aux petits futés qui ont profité du manque de contrôle induit par ses volumes massifs pour proposer leurs jeux très peu culturels. Cela leur a quand même rapporté près de 16 millions d’euros.

Un questionnaire bientôt obligatoire

Mais au fond l’escape games est-il une pratique non culturelle ? Le rapport souligne à plusieurs reprises le manque de définition par le ministère de la Culture de ce que doivent être les pratiques culturelles. On comprend les réticences de la rue de Valois, recenser ce qui relève de la culture c’est entrer sur un terrain miné, surtout à l’aune des nouvelles pratiques urbaines ou numériques. Les magistrats s’agacent aussi de ce qu’il a fallu si longtemps pour imposer aux jeunes de remplir un questionnaire sur leurs pratiques avant de s’inscrire au Pass. Là aussi la logique quantitative (un questionnaire obligatoire fait baisser le taux d’inscription) a été privilégiée. À défaut de changer les pratiques, le Pass aurait permis en imposant ce questionnaire de mieux connaître les goûts des jeunes. Le questionnaire devrait être bientôt obligatoire.

La Cour est bien en peine de trouver des idées pour inciter à la diversité culturelle et d’ailleurs de manière générale formule peu de recommandations. Elle reprend la piste convenue de la médiation, c’est-à-dire de développer des offres comportant un volet médiation mais reconnaît que les quelques offres existantes en ce sens ont touché peu de jeunes.

Les magistrats sont plus allants sur leur terrain favori : les comptes et la gouvernance. Ils plaident depuis leur premier rapport pour que la société privée qui gère le dispositif revienne dans le giron de l’État sous la forme d’un opérateur. Aujourd’hui la SAS Pass culture qui emploie 176 personnes (en équivalent temps plein – ETP –), dispose d’un confortable budget de fonctionnement de 24 millions d’euros en 2023 et d’une grande liberté de manœuvre. Le statut d’opérateur de l’État permettra (le changement de statut est acté) de mieux informer le Parlement, d’être encadré par un plafond d’emploi et de se soumettre aux règles de la comptabilité publique. La Cour n’a pas relevé de dysfonctionnements dans la gestion de la SAS mais voudrait que l’agence soit mieux contrôlée par l’État. Elle souhaiterait en particulier que les équipes de la SAS en région (32 personnes chargées de l’animation du Pass) soient sous la tutelle des directions régionales des Affaires culturelles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Reste le problème capital de ce que cela coûte aux finances publiques « qui sont dans l’état que l’on sait », selon Pierre Moscovici : 244 millions d’euros pour le Pass individuel et 80 pour le Pass collectif, soit 324 millions d’euros . Les magistrats évoquent plusieurs pistes pour diminuer les coûts. D’abord ramener la bourse de 300 euros à 200 euros (elle était de 500 € à l’origine). Ils s’appuient pour cela sur le montant moyen réellement dépensé qui est de 244 euros. Cette baisse permettrait de faire entre 30 et 40 millions d’économies. Ils suggèrent également de mettre des conditions de ressources pour n’en faire bénéficier qu’aux jeunes les moins favorisés, sans se risquer à placer le curseur de ressources et chiffrer les économies liées.

La Cour s’oppose enfin à l’idée de généraliser l’application et d’en faire un outil d’information culturelle géolocalisée pour toute la population, comme cela a souvent été évoqué. Elle ne prend cependant pas en compte le fait que cette application pourrait devenir un vrai média d’information culturelle auprès d’une population qui ne lit plus de journaux.

Signe de l’importance que lui apporte la Cour, le Pass sera à nouveau évoqué au cours du mois de janvier dans un audit de l’éducation artistique et culturelle, dont le Pass collectif commence à être la pierre de touche.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Pass culture, la Cour des comptes enfonce le clou

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