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Mercedes Erra : « La Cité de l’immigration faisait peur à tout le monde »

Présidente du Musée de l’histoire de l’immigration

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 24 février 2015 - 1228 mots

PARIS

Née en Espagne, fondatrice de l’agence de publicité BETC et présidente exécutive de Havas Worldwide, Mercedes Erra est, depuis 2010, présidente de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, devenue, en 2012, Musée de l’histoire de l’immigration-Palais de la porte Dorée.

Née en Espagne, fondatrice de l’agence de publicité BETC et présidente exécutive de Havas Worldwide, Mercedes Erra est, depuis 2010, présidente de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, devenue, en 2012, Musée de l’histoire de l’immigration-Palais de la porte Dorée.

Dans quelles circonstances avez-vous été choisie comme présidente du Conseil d’administration du Musée de l’histoire de l’immigration ?
J’arrive sur le projet il y a quatre ans, en 2010. Je suis moi-même immigrée. Jacques Toubon me dit alors que le projet se porte mal, que les médias le contestent ou au mieux l’ignorent, et que l’existence même du lieu paraît remise en cause. À la fois l’État et l’opinion semblent se désengager. Faute d’être installée et vécue comme un lieu porteur de diversité, de cultures multiples, et surtout de cette histoire fascinante de l’immigration qui est celle de la France, la Cité est laissée de côté par les tutelles dont elle dépend, la Culture, l’Intérieur, la Recherche et l’Éducation nationale. « Ce n’est pas un cadeau, il y a beaucoup à faire », me prévient alors Jacques Toubon. J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours d’immigration, je suis très heureuse d’être Française, il m’a semblé évident d’accepter la présidence de la Cité. Je ne pensais pas que cela me prendrait autant de temps ! L’histoire de l’immigration est une histoire cachée et le musée en est un révélateur. C’est aussi un pôle de recherches, un lieu de conservation d’archives et d’œuvres, où on explore et élabore les récits de l’immigration. J’ai trouvé dans ce lieu des historiens, des conservateurs, qui travaillaient en profondeur les sujets. Le Conseil d’orientation présidé par Jacques Toubon était particulièrement riche et impliqué. Très vite j’ai réalisé l’absolue nécessité d’ouvrir ce lieu à tous les publics. Aucune communication large n’avait été initiée pour expliquer au public le lieu et sa raison d’être dans le paysage muséal. C’était facile de dire que le lieu n’intéressait pas les Français, ils ne savaient rien de son existence ! Un autre enjeu était de faire venir public et mécènes dans un musée d’histoire, surtout d’histoire de l’immigration. Sujet polémique, l’immigration faisait fuir les mécènes. Bref ce lieu faisait peur à tout le monde.

Quel est votre rôle à la tête de l’établissement ?
Je fais ce que je sais faire, venant du métier qui est le mien : nous avons donc commencé par la réflexion sur le positionnement. Il faut être concret. « Cité de l’immigration » était mal compris, porteur de confusion : les gens ne savaient pas ce qui était donné à voir dans ce lieu. Être clairement identifié comme un musée, cela nous protège de la polémique. Vis-à-vis des Français aujourd’hui, nous avons le devoir d’être scientifiques et historiques. Un quart des Français est issu de l’immigration, il faut être factuel, non idéologique. Dans cette perspective, la modification du nom, et le passage de la « Cité » au « Musée », adopté en conseil d’administration, a été un acte fondateur en 2012. Ensuite, nous avons revu le logo : il tire avantage du magnifique Palais de la porte Dorée, qui a lui-même une histoire intriquée avec l’immigration. L’aquarium participe aussi de cette histoire : il fallait à l’époque montrer les poissons venus des colonies.

Raconter l’histoire n’est jamais facile. Il s’agissait aussi pour nous de mettre au point une écriture propre au Musée de l’immigration. Le Musée a trouvé une ligne éditoriale à base de factuel, de rationnel et d’émotionnel. Le récit du Musée croise ainsi les faits, les repères de l’histoire, les témoignages individuels et les œuvres d’artistes. À ce titre, il facilite beaucoup l’accès à l’histoire.

Avec un budget de fonctionnement de 7 millions d’euros, comment fait-on exister publiquement une structure d’envergure nationale ?
On manque bien sûr de moyens. Concrètement, les campagnes de communication sont prises en charge bénévolement par mon équipe de BETC et font l’objet d’un mécénat de compétences. Et nous avons été formidablement aidés par Jean-Charles Decaux et Gérard Unger, de Mediatransports, pour l’affichage. Le Musée leur doit beaucoup. Quant aux acquisitions d’art contemporain, elles se font avec très peu de moyens, au début nous avions aux alentours de 300 000 euros. Mais avec un très bon œil, cela permet d’acquérir de vraies œuvres : photographies, installations, toiles, documents historiques… On s’enrichit aussi par l’ethnographie : avec des recueils, des témoignages. Par exemple en 2010, lorsque le Palais était occupé par des centaines de sans-papiers, les équipes d’ethnographes ont recueilli leurs témoignages, leurs vécus. La Galerie des dons participe aussi à l’enrichissement des collections, en suscitant la générosité spontanée de visiteurs, connus ou anonymes. Enfin, nous rallions des mécènes. Avec un peu de chance et beaucoup de ténacité, j’arrive à embarquer certaines personnes et entreprises dans notre aventure.

En quoi l’arrivée de Benjamin Stora à la tête du Conseil d’orientation influe sur l’avenir du musée ?
Benjamin Stora est arrivé il y a quelques mois lorsque Jacques Toubon est devenu Défenseur des droits. Benjamin apporte au Musée sa compétence d’historien, sa connaissance précise de certains sujets et sa propre visibilité. Il participe de l’ultime réconciliation avec la presse et l’opinion, à un moment où le musée va mieux. L’inauguration devant le président François Hollande est significative du retour à un vrai discours sur l’immigration. Ce musée est l’histoire d’un combat essentiel.

Après les événements dramatiques de janvier, en quoi le musée peut-il jouer son rôle dans la société ?
Ce musée était déjà important avant janvier. Il est plus que jamais essentiel, car il raconte le respect que se doit d’avoir la France pour ceux qui sont venus l’enrichir de leurs cultures multiples, qui l’aiment et deviennent Français sans renier leur histoire. Le Musée est un bel outil pour l’intégration et la fierté des immigrés, et la reconnaissance par tous de leur contribution à la construction de la France. Notre musée est assez en avance par rapport aux autres lieux de ce type dans le monde. Mais il reste beaucoup à faire. Nous dépendons aujourd’hui de deux ministères de tutelle – la Culture, l’Éducation et la Recherche –  pleinement légitimes sur le sujet.

Quelle arme en particulier peut servir à renouer un dialogue rompu ?
L’école : l’enjeu des écoles est primordial. Il n’y a jamais eu autant d’inégalités en France. J’encourage les écoles à visiter le Musée de l’immigration, car voici un lieu où l’on ne fait pas de différences : tous sont chez eux. Les entrées rapportent moins qu’ailleurs, car nos grilles tarifaires favorisent l’accessibilité maximale et que nous recevons beaucoup de jeunes et de publics qui bénéficient souvent de la gratuité. Et la relation avec les écoles est fructueuse : nous fournissons des formations et du matériel pédagogique aux professeurs, proposons des visites scolaires pour l’ensemble des jeunes français, issus de l’immigration ou pas. L’école est faite pour expliquer, éduquer à l’intégration et à la laïcité. Nous sommes un maillon utile pour exposer la réalité, les chiffres, les évolutions. Tout cela n’ira pas sans une réflexion sur l’inégalité et l’ascenseur social, que la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem prend à bras-le-corps. Je rêve de faire des expositions ambulantes dans les écoles…

Légende photo

Mercedes Erra © Photo Jacqueline Roche

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Mercedes Erra : « La Cité de l’immigration faisait peur à tout le monde »

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