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Benjamin Stora annonce son départ de la Porte-Dorée

L’historien quittera au plus tard en mars 2020 ses fonctions au Musée national de l’histoire de l’immigration. Il invoque une certaine lassitude.

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2019 - 1054 mots

PARIS

L’historien voudrait quitter au plus vite la présidence du Conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration. Il s’interroge sur les difficultés actuelles du Palais de la Porte-Dorée et regrette que son rapport sur la culture et les migrants n’ait pas eu de suite.

Benjamin Stora © Photo Julien Falsimagne.
Benjamin Stora.
© Photo Julien Falsimagne

Paris. Après deux mandats, Benjamin Stora souhaite quitter le Conseil d’orientation de l’établissement public du Palais de la Porte-Dorée – regroupant le Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) et l’Aquarium tropical –, qu’il préside depuis 2014, afin de se « consacrer à [ses] recherches sur l’Algérie et le Maghreb et [ses] activités d’écriture » en lien avec l’actualité politique récente. Il souligne aussi qu’il est temps pour lui de passer le flambeau, puisque le musée de l’avenue Daumesnil est « bien installé dans le paysage culturel français ». Après plusieurs années difficiles, le Palais connaît en effet un certain succès, comme le rappelle Mercedes Erra, présidente du conseil d’administration du Palais de la Porte-Dorée : « En 2019, nous ne serons pas loin des 500 000 visiteurs accueillis au Palais (pour le musée mais aussi l’aquarium) », soit 9% d’augmentation par rapport à 2018.

L’historien évoque aussi un récent rapport de la Cour des comptes pour expliquer sa décision [lire encadré]. Ce rapport préconise des travaux à réaliser en urgence, travaux qui auront des conséquences sur le planning des expositions au MNHI. Benjamin Stora signale ainsi à regret que « l’exposition prévue pour mars 2020 sur les relations entre juifs et musulmans est retardée de plusieurs mois, alors qu’elle est prête ». Il déplore que le bâtiment ait rouvert « sans aucune restauration », ce qui handicapait la scénographie des expositions. La nécessaire refonte du parcours permanent se voit aussi retardée, alors qu’un rapport rédigé par l’historien Patrick Boucheron donne une feuille de route pour ce projet. Mercedes Erra nuance pourtant les conséquences négatives du rapport : « Ce rapport, nous le trouvons formidable, nous demandions des travaux depuis longtemps ! » Elle ajoute que depuis 2016 « une personne s’occupe à plein temps du bâtiment et des travaux ». Selon Mercedes Erra, « la décision de Benjamin Stora est personnelle, elle n’est pas liée aux difficultés du bâtiment ».

Plus que ces contretemps, c’est la gouvernance même du Palais qui semble avoir pesé sur la décision de Benjamin Stora, qui rappelle que le poste est « très prenant, car il coiffe le MNHI, l’Aquarium et le bâtiment lui-même ». En outre, ce poste n’est pas rémunéré, ce que souligne aussi Mercedes Erra, qui concède que « par le passé il y a eu des difficultés de gouvernance à cause des différentes entités » du Palais. Elle se félicite « quela gouvernance soit devenue unique pour un seul et même lieu », puisque le Palais est un établissement public depuis 2012.

Un dernier élément, et pas le moindre, est à prendre en compte dans la décision de l’historien : en février 2019, Benjamin Stora a remis au ministre de la Culture Franck Riester un rapport sur les migrants et la culture commandé en 2018 par son prédécesseur, Françoise Nyssen [lire encadré]. Or d’après Benjamin Stora, « le rapport a simplement été enterré, personne n’en a parlé, même pas la presse ! » Aucune raison ne lui a été donnée pour ce silence, alors que le sujet est central dans le débat politique.

Qui pour lui succéder ?

Se pose donc la question du successeur de Benjamin Stora, car l’historien a marqué la fonction de sa personnalité. Il estime qu’il faut « une double casquette, c’est-à-dire un profil universitaire et un engagement politique ou associatif », à l’image de son propre parcours. Il évoque la possibilité que les tutelles du Palais choisissent « un politique, comme ce fut le cas avec Jacques Toubon avant [lui] » mais avoue pencher pour un chercheur. Une préférence également affichée par Mercedes Erra, pour qui « il faudrait un historien ou au moins un universitaire, et quelqu’un qui se batte pour ce lieu ». Comme Benjamin Stora, elle souligne les critères particuliers du poste : « C’est un poste bénévole, très lourd, et il y a une condition d’âge aussi (moins de 68 ans). » Elle craint d’ailleurs une vacance du poste en 2020, comme ce fut le cas en 2014 entre Jacques Toubon et Benjamin Stora. L’un et l’autre confient que « ce sera difficile de trouver le bon candidat, même s’il existe en France des profils intéressants ».

Des travaux à réaliser d’urgence  

Bâtiment. Publié en septembre 2019, un rapport de la Cour des comptes appelait à des travaux critiques à réaliser rapidement dans le bâtiment, sous peine de mettre en danger les agents et les visiteurs [voir JdA du 20 septembre 2019]. Circuits d’aération vétustes, plaques de béton fissurées ou escaliers de secours inadaptés…, le rapport dénonce une « déshérence » du bâtiment depuis plusieurs décennies. Des travaux sont effectivement prévus au printemps 2020, mais la rénovation totale devrait coûter 30 millions d’euros sur dix ans, à répartir entre les quatre (!) tutelles : ministères de la Culture, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de l’Intérieur.

Olympe Lemut
 

Que contient le « rapport Stora » ?
Rapport. Fruit d’un an d’enquête, le rapport « Culture et migrants » commandé par l’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen à Benjamin Stora dresse un bilan des actions menées par les institutions culturelles et les associations en faveur des migrants, des actions pas toujours bien coordonnées. Benjamin Stora propose trois axes de réflexion pour mieux faire respecter les « droits culturels » des migrants : l’apprentissage précoce du français, l’implication des lieux culturels (théâtres, centres d’art) et des associations dans l’intégration des migrants, et une meilleure diffusion de l’histoire des migrations auprès des Français. Il plaide également pour que les sans-papiers en situation illégale aient accès à des cours de français et à des spectacles, et propose de généraliser les actions en faveur des créateurs réfugiés en France. Il cite L’Atelier des artistes en exil (Paris) comme modèle, et propose aussi de nouveaux partenariats public-privé. Sur le troisième point, il encourage par exemple les Archives nationales à ouvrir largement leurs collections pour que les Français connaissent mieux leur propre histoire. Benjamin Stora préconise enfin de s’appuyer sur des structures locales, des associations et des centres culturels plutôt que sur l’État (les Drac et le ministère de la Culture) et épingle au passage la politique du ministère de l’Intérieur envers les étrangers : il n’est donc pas très surprenant qu’il ait été accueilli froidement par le ministre de la Culture…

 

Olympe Lemut

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Benjamin Stora annonce son départ de la Porte-Dorée

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