PARIS
Emmanuel Macron doit nommer d’ici cinq ans une trentaine de dirigeants d’opérateurs culturels. Les règles actuelles de nomination ont maintes fois été critiquées. Le candidat s’était prononcé pour plus de transparence dans les procédures.
En janvier de cette année, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, déclarait sur France Culture : « le pouvoir de nommer est très structurant, et cela participe d’une politique culturelle », ajoutant vouloir « mettre de la transparence et de l’ouverture dans la procédure et les candidats qui y sont soumis ». Ces belles intentions résisteront-elles à l’exercice du pouvoir ? Des dizaines de nominations sont attendues par un monde culturel qui garde en mémoire plusieurs anomalies des quinquennats précédents.
La nomination des directeurs des grandes institutions n’échappe pas aux prérogatives du président de la République. Les textes prévoient trois procédures selon l’importance de l’opérateur public. Les nominations dites « en conseil des ministres » concernent une poignée de grandes institutions – comme la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Louvre, le Centre Pompidou… – référencées dans un décret de 1959 régulièrement mis à jour. Un second niveau relève d’un « décret simple », que le président signe ou délègue, selon les cas, à son Premier ministre ou au ministre chargé de la Culture. Sont ainsi concernés le président du Musée d’Orsay ou le directeur de la Villa Médicis. Enfin, les institutions culturelles relevant du régime des services à compétence nationale voient leurs dirigeants nommés par un arrêté du ministère de la Culture, par exemple les Archives nationales, le Mobilier national, le Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye ou les musées d’Écouen et de Cluny.
Mais comme l’explique Bruno Racine, qui a dirigé la Villa Médicis à Rome, et présidé le Centre Pompidou, puis la BnF à Paris, « cette distinction formelle ne dit rien du processus réel qui conduit à la nomination, l’Élysée ayant évidemment son mot à dire sur des nominations à Orsay ou à Versailles ». C’est en effet un secret de polichinelle ; les présidents successifs ont toujours voulu intervenir dans les nominations, mêmes lorsqu’elles ne relèvent pas de leur domaine réservé. Le ministère de la Culture ne fournit pas toujours une liste de candidats ayant sa préférence. Dans les cas où le président veut imposer « son » candidat, point de débat. Parfois, le ministre propose un seul nom et n’en propose un autre que si le premier est refusé. Enfin, il arrive que le président demande à son ministre une liste de candidats pour mieux masquer qu’il a déjà fait son choix tout en se donnant des allures de transparence.
Des nominations hors champ qui font polémique
Pendant dix ans, Jack Lang et François Mitterrand se sont accordés sur les grandes nominations. « Lang proposait toujours un nom et Mitterrand répondait trois mots : soit “c’est bien”, soit “parlez m’en” », raconte Claude Mollard, membre du cabinet de Jack Lang Rue de Valois en 1981. Sous Nicolas Sarkozy et au début du quinquennat de François Hollande, certaines nominations ont été à l’origine d’incompréhensions voire de polémiques. Une série de personnalités, certes de qualités et d’horizons différents, vont être nommées dans des secteurs dont ils ne sont pas spécialistes. Parmi elles, Catherine Pégard, ancienne journaliste et directrice du service presse de l’Élysée de 2008 à 2011, débarque au château de Versailles. Muriel Mayette, ancienne administratrice de la Comédie française, est nommée à la Villa Médicis à Rome. Les hauts fonctionnaires Serge Lasvignes (secrétaire général du Gouvernement pendant neuf ans) et Sylvie Hubac (directrice de cabinet de François Hollande), sont nommés respectivement au Centre Pompidou et à la Rmn-GP (Réunion des musées nationaux et du Grand Palais). Pour Claude Mollard, « les nominations sont devenues politiciennes, et non plus axées sur la seule adéquation entre le prestige du candidat et celui de l’institution qu’il doit incarner. La nomination de Frédéric Mitterrand à la Villa Médicis, puis Rue de Valois, ont marqué un tournant à cet égard ». En d’autres termes, elles tiendraient lieu de cadeaux pour services rendus ou tout simplement du bon vouloir du président.
Après la polémique sur l’éviction de Nicolas Bourriaud des Beaux-Arts de Paris et le jeu de chaises musicales entre Éric de Chassey et Muriel Mayette, le Gouvernement publie un décret en octobre 2015, pour clarifier les mandats des dirigeants d’établissements publics (EP) culturels. Cette petite révolution de palais, pilotée à la hâte par les équipes de Fleur Pellerin, prévoit notamment d’harmoniser les durées de mandat des dirigeants des établissements publics nationaux placés sous la tutelle du ministère de la Culture, et de limiter le nombre de leurs renouvellements (voir tableau ci-contre), dans une durée maximale de neuf ou onze ans, pour la majorité des établissements. Cette réforme a été analysée par de nombreux commentateurs comme une façon de reprendre la main sur des présidents et directeurs à la tête d’établissements publics ayant gagné en autonomie et en poids au cours des dernières années. Le décret en profite pour harmoniser les limites d’âge des dirigeants d’EP avec celles de la fonction publique : entre 65 ans et 9 mois et 67 ans selon la date de naissance, avec un recul d’une année par enfant à charge au moment de l’atteinte de la limite d’âge (dans la limite de trois ans) et d’un an si l’agent a eu trois enfants vivants à l’âge de 50 ans. Mais dans les faits, on constate plusieurs dérogations pour permettre à un titulaire atteint par la limite d’âge de poursuivre son mandat en cours, comme Laurent Bayle à la Cité de la musique. À l’Institut du monde arabe et à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, où il n’y a pas de limite d’âge réglementaire, Jack Lang (77 ans) et Marc Partouche (76 ans) ont été renouvelés sans aucune discussion.
Un arbitrage délicat entre transparence et discrétion
Pour autant, si le décret harmonise les mandats, il ne clarifie en rien les modalités de nomination. Aussi, des voix s’élèvent de plus en plus pour demander une plus grande transparence et une anticipation des calendriers de nominations afin d’éviter des vacances de pouvoir. Ainsi à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), un décret modifiant les statuts datés de l’été 2016 stipule que « le président-directeur général est choisi après appel à candidature, parmi les personnalités ayant une compétence dans le domaine de l’archéologie sur la base d’un projet scientifique ». Une clarification des procédures plutôt rare dans le secteur. Dans la revue Esprit d’octobre 2015, Laurence Engel, alors ancienne directrice du cabinet d’Aurélie Filippetti, pointait d’autres nécessités : « D’une part, le respect dû au sortant – qui doit formellement être prévenu, avant tout autre, du sort qui lui est réservé et à qui on évite l’offense d’une mise en concurrence superfétatoire. D’autre part, l’obligation de dire clairement comment se déroulera la procédure. » Notons que cette même Laurence Engel, un an plus tard, ne sera nommée à la tête de la BnF que plusieurs jours après le départ de Bruno Racine, dont le non-renouvellement (âge limite) était pourtant connu depuis de longs mois.
Les déclarations du candidat Macron
Dans quels pas le nouveau président va-t-il s’inscrire ? Il a critiqué, pendant sa campagne, un système qu’il juge « beaucoup trop endogame (...) refermé sur lui-même ». Il s’est prononcé pour des jurys systématiques « qui permettent de sélectionner des noms sur des critères objectifs » établissant des listes de quatre à cinq candidats avec une vraie parité hommes-femmes. Selon lui, il faudra aussi avoir « le courage de recruter des grands internationaux » avait-il précisé sur France Culture. Une sélection rendue publique pendant le processus de nomination a cependant ses limites. Beaucoup relèvent que de bons candidats pourraient renoncer face à un possible échec public et surtout une situation inconfortable à l’égard des équipes de l’établissement qu’ils souhaitent quitter.
D’ici 2022, le président devra reconduire ou nommer une vingtaine de directeurs d’établissements culturels. Le remplaçant de Jean-Marc Bustamante devait être une des premières, en 2018, mais le titulaire « d’un des plus beaux bureaux de la république », comme le dit lui-même dans un sourire l’académicien fraîchement élu, a déjà négocié un an de mandat supplémentaire pour rester en poste jusqu’à sa retraite, et ne passera la main qu’en 2019. Entre usage du pouvoir de nomination et recherche de transparence dans les processus, Emmanuel Macron se retrouve face à un arbitrage traditionnel, mais toujours délicat.
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Macron attendu sur les nominations culturelles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Macron attendu sur les nominations culturelles