GUINGAMP
L’Institut national supérieur de l’EAC a ouvert à Guingamp en septembre dernier dans une ancienne prison. C’est un lieu de formation, de ressources et de recherche à destination des acteurs de l’EAC, et notamment du corps enseignant.
Guingamp (Côtes-d’Armor). La nécessité de disposer d’un lieu de formation initiale et continue pour les acteurs de l’EAC (Éducation artistique et culturelle) s’est très vite imposée aux membres du Haut Conseil de l’EAC (HCEAC) après l’élaboration de la charte de l’EAC. De même, s’est imposée naturellement l’idée d’installer ce lieu en Bretagne, région qui mène, depuis plusieurs années, une politique volontariste en la matière. La ville de Guingamp offrait, de son côté, deux avantages décisifs. Le premier est que « la population de Guingamp est représentative de la population française sur ce qu’on appelle l’IPS, l’indice de position sociale des élèves. On dispose d’une petite France à l’échelle d’une toute petite ville », explique Emmanuel Ethis, recteur de la région académique Bretagne. Le deuxième avantage est de disposer d’un lieu d’accueil adéquat : l’ancienne prison départementale désaffectée et déjà partiellement restaurée, en centre-ville.
Un choix qui a ravi Erik Orsenna, l’écrivain et ancien conseiller de François Mitterrand, qui s’empresse alors d’écrire à Emmanuel Ethis : « Quel plus beau symbole que d’installer [l’Inséac] dans une ancienne prison comme un pied de nez à son ancien statut » et d’ajouter dans un registre plus intime « et puis la Bretagne. Je vous entends déjà moquer, voire vilipender mon parti pris, mais figurez-vous que mes parents m’ont appris à remercier. Sans elle, sans la Bretagne, sans sa force et ses mystères, sans écouter chaque jour et chaque nuit ce bruit sans dialogue entre l’Armor et l’Argoat. Jamais, jamais je n’aurais grandi. »
L’un des bénéfices immédiats du lieu est de matérialiser (enfin) un programme national, multiforme à travers un édifice, monumental, qui plus est à la charge symbolique très forte. La proximité de l’ancienne prison avec la gare facilite la venue des élèves. Des trois missions de l’Inséac – formation, centre de ressources, recherche –, la formation est la plus visible. Depuis la rentrée de septembre 2021, le campus accueille la première promotion (vingt-cinq étudiants) du master « Culture et communication » qui forme les responsables des structures engagées dans l’EAC (collectivités locales, associations culturelles…). La formation se déroule en deux ans, à Guingamp, dans un mélange présentiel / distanciel, et se compose de modules éligibles à la validation des acquis de l’expérience professionnelle (VAE). « C’est très utile pour les enseignants qui vont ainsi pouvoir disposer d’un titre EAC à faire valoir dans leur parcours professionnel », explique le coordinateur de l’équipe, Damien Malinas. Chaque module correspond à des aspects particuliers dans la mise en œuvre d’un projet EAC : la sécurisation d’un événement, la gestion d’un budget, l’interaction avec les artistes intervenants… L’Inséac dispense également une formation BAC + 1 « Agent d’accueil des publics de l’EAC », qui peut être suivie en formation initiale ou en formation continue.
L’Inséac est ensuite un pôle de ressources pour les acteurs de l’EAC (enseignants, artistes, associations culturelles). Il met à leur disposition des kits (fiches, tutos, podcasts…) pour mettre en œuvre un programme EAC dans une classe : faire découvrir un patrimoine de proximité, organiser un orchestre pour enfants, etc. Formation et kits s’appuient sur des exemples réels et une équipe pédagogique constituée à ce jour de huit enseignants-chercheurs, professeurs des écoles et du second degré. L’Institut dispose de son propre studio d’enregistrement. Ces kits puisent également dans les nombreux partenariats avec les lieux et associations culturelles de la région, dont le centre d’art GwinZegal installé lui aussi dans l’ancienne prison.
L’Inséac ne peut à lui seul former les artistes, enseignants, administrateurs de toute la France. Sa mission première dans une montée en charge progressive est de préparer des formateurs dans une logique de démultiplication. Il fonctionne comme la tête d’un réseau constitué de quarante-deux Préac (Pôles de ressources de l’éducation artistique et culturelle) créés en 2007 (prenant parfois la suite de structures similaires plus anciennes) à l’initiative des recteurs et des préfets de région. Chaque Préac a développé une compétence particulière dans un domaine (le design, l’art et le paysage, l’opéra) et s’appuie le plus souvent sur des structures locales. Ainsi, le Préac « Culture olfactive », rattaché à l’académie de Nice, est porté par la communauté d’agglomération du Pays de Grasse et le Musée international de la parfumerie.
L’installation de l’Inséac dans un territoire à la fois représentatif de la France et très demandeur d’EAC permet de mettre en place des programmes de recherche sur l’EAC. Ainsi, par exemple, a été lancée une étude, qui va durer dix ans, sur les effets des dispositifs d’EAC sur les élèves de la région, de la maternelle à l’université. Cette observation du « vécu » et dans le temps fournira à terme des données solides quant à l’impact de l’EAC sur l’épanouissement des élèves et permettra probablement d’affiner les projets. Plusieurs doctorants travaillent déjà sur des programmes de recherche, dont un étudiant chinois qui étudie les flux de jeunes spectateurs dans les salles de cinéma de la région dans une démarche comparative France / Chine.
Si l’Institut permet d’accueillir des doctorants et de délivrer des diplômes d’État, c’est que, sous la tutelle de trois ministères, ceux de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Culture, il est rattaché au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Paradoxalement, l’Inséac, clef de voûte du programme national, porté par trois ministères et toute une région, opérationnel depuis 2021, n’a jamais été inauguré, la faute revenant au calendrier officiel bousculé par la pandémie de Covid-19 et les élections présidentielles. Une bonne opportunité pour Emmanuel Macron d’y venir et de braquer ainsi les projecteurs sur l’école des « hussards de l’EAC ».
Monument historique. L’Institut national supérieur de l’EAC (Inséac) est installé dans l’ancienne prison de Guingamp, fermée en 1934, désaffectée en 1952, vendue à la Ville en 1982 et classée monument historique en 1997. Les premiers travaux datent de 2008 et le site est aujourd’hui totalement réhabilité pour un coût de 8 millions d’euros. Il accueille depuis 2019 le centre d’art GwinZegal (labélisé « Centre d’art d’intérêt national ») et l’Inséac depuis 2021. Ouvert au public, le bâtiment étonne par une configuration des lieux très éloignée des forteresses carcérales. À l’intérieur du mur d’enceinte, les bâtiments à deux étages organisés autour de plusieurs petites places accueillent des cellules individuelles. Quelques murs ont été abattus pour constituer des salles de cours, mais l’ensemble reste très monacal. On doit cette architecture humaniste à Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’auteur de De la Démocratie en Amérique, revenu d’une visite d’une prison modèle de Philadelphie, avec l’intuition d’une prison humaniste. « C’est finalement un lieu qui incarne bien notre sujet », relève Emmanuel Ethis.
La Bretagne zone pilote de l’EAC
Territoire. Dès la relance de l’EAC par Emmanuel Macron en 2017, la Bretagne a très vite saisi l’opportunité de devenir une région pilote. Il est vrai que la présence de l’ex-président du conseil régional, Jean-Yves Le Drian, au précédent gouvernement dont il était un poids lourd, a facilité les choses. Son successeur Loïg Chesnais-Girard (PS mais « Macron compatible » selon ses termes) met en avant le dense maillage culturel de la région, porté en partie par le triple réseau scolaire, une particularité locale : public, catholique et le réseau Diwan en langue bretonne. L’arrivée d’Emmanuel Ethis au rectorat en 2019 a accéléré cet engagement. « En Bretagne, l’EAC est un projet académique, ainsi 100 % des lycées sont incités à avoir un tel projet », précise-t-il. Il est ainsi à l’origine, en 2021, du programme « Le quart d’heure de lecture » qui incite tous les élèves de Bretagne à s’arrêter au même moment une fois par semaine pour lire ce dont ils ont envie : un manga, une recette de cuisine ou un roman. Ce programme a d’ailleurs été repris nationalement. Trois villes de la région se sont portées candidates pour être une des villes test du 100 % EAC, dont Guingamp qui présente la caractéristique de doubler sa population (7 000 habitants) en accueillant les élèves des environs, permettant ainsi d’infuser l’EAC dans les territoires ruraux. « En primaire, tous les élèves vont au moins une fois par an au théâtre », relève Philippe Le Goff, maire PS et lui-même professeur d’EPS. Guingamp est aussi devenue une ville laboratoire de l’EAC. L’académie bénéficie d’une enveloppe de 2 millions d’euros pour financer les actions d’EAC auxquels s’ajoutent 4,6 millions d’euros au titre de la « part collective » du Pass culture. À la rentrée prochaine, le rectorat va mettre en place des délégués de classe référents culturels.
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L’Inséac : l’école de l’EAC
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°590 du 27 mai 2022, avec le titre suivant : L’Inséac : l’école de l’EAC