Décédé le 6 mai dernier, Cornelius Gurlitt a légué l’intégralité de sa collection d’œuvres d’art, de biens immobiliers et le contenu de son compte en banque au Musée des beaux-arts de Berne. L’institution suisse, qui n’a pas caché sa surprise, a six mois pour décider si elle accepte ce cadeau empoisonné, tandis que les recherches sur la provenance des œuvres se poursuivent en Allemagne.
MUNICH (ALLEMAGNE) - Après moi le déluge. C’était en substance ce qu’avait déclaré Cornelius Gurlitt lors du seul entretien qu’il a accordé à la presse en novembre dernier. Souffrant de graves problèmes cardiaques, il estimait alors que l’État aurait découvert sa collection après son décès et que tous les problèmes se seraient ainsi réglés d’eux-mêmes. Pourtant, la disparition de Cornelius Gurlitt le 6 mai dernier soulève plus de questions qu’elle n’en résout. À commencer par les circonstances de son décès, qui ont dû être élucidées par une autopsie, ordonnée par le procureur général de Munich. Celle-ci a révélé que la cause du décès était finalement bien naturelle, et non de source criminelle. La cause n’a toutefois pas été rendue publique.
Le mystérieux attachement de Gurlitt à Berne
L’autre question soulevée par le décès de Cornelius Gurlitt concerne bien évidemment l’avenir de la collection, dont environ un tiers pourrait s’avérer avoir été spolié par les nazis à des personnes privées. Un autre tiers proviendrait de « l’art dégénéré », les œuvres d’art saisies par les nazis dans les musées allemands en 1937. Le 13 mai, le tribunal de Munich a annoncé que Cornelius Gurlitt avait finalement rédigé deux testaments, les 9 janvier et 21 février 2014. Ces testaments ont été ouverts par le tribunal, mais au 19 mai, ils n’avaient pas encore été envoyés aux héritiers. Le Musée des beaux-arts de Berne a révélé dès le 7 mai être le légataire universel des biens du collectionneur allemand, soit les œuvres saisies à Munich, d’autres œuvres découvertes à Salzbourg, ainsi que des biens immobiliers et un compte en banque bien garni.
La direction du musée a déclaré avoir été très surprise par cette nouvelle, Gurlitt n’ayant eu aucun contact avec le musée. Dès lors, comment expliquer cette surprenante décision ? La galerie Kornfeld de Berne a-t-elle joué un rôle dans ce choix ? Cornelius Gurlitt avait été intercepté avec une grosse somme en liquide, fin 2010, par les douanes allemandes à l’occasion d’un aller-retour en Suisse, ce qui avait déclenché l’affaire. Il avait déclaré revenir de Berne, où il avait fait affaire avec la galerie Kornfeld. En novembre dernier, la galerie Kornfeld avait cependant démenti et affirmé ne plus avoir de contact avec Gurlitt depuis 1990. Elle avait toutefois reconnu avoir écoulé avant cette date plusieurs œuvres pour le compte de Cornelius Gurlitt, dont certaines d’art dégénéré, dont le commerce est encore légal à ce jour. Eberhard Kornfeld, mécène du Musée des beaux-arts et ami personnel du directeur du musée, aurait-il conseillé à Gurlitt de léguer ses biens à celui-ci ? « Nous avons été tout aussi surpris par cette nouvelle que nous avons découverte dans la presse », déclare la galerie. Le mystère reste entier.
Le lourd héritage des questions éthiques
Le musée acceptera-t-il cet héritage encombrant, cadeau empoisonné s’il en est, qui lui « pose toute une série de questions épineuses, notamment de nature juridique et éthique » ? Il dispose d’un délai de six mois pour prendre sa décision. Assailli par les journalistes, le musée a décidé de ne plus communiquer jusqu’à début juin, afin de « réunir l’ensemble des éléments du dossier qui permettront au Conseil de la fondation du Musée des beaux-arts de Berne de procéder à une première appréciation de la situation ».
L’Office fédéral de la culture suisse a déclaré de son côté que « le Musée des beaux-arts de Berne est une fondation de droit privé, et comme telle, indépendante de la Confédération ». La décision d’accepter ou refuser l’héritage revient donc à la fondation. La Suisse est l’un des 44 pays signataires de la Déclaration de Washington sur la restitution des biens spoliés, mais cette déclaration ne lie toutefois que les collections publiques. Le directeur du musée, Matthias Frehner, a cependant précisé que la fondation se conformerait à ces principes et restituerait les œuvres spoliées, tout en ajoutant que la recherche sur la provenance devrait être faite en Allemagne, car le musée n’a ni le personnel ni les moyens pour l’assurer. Ingeborg Berggreen-Merkel, la responsable du groupe de travail mis en place par le gouvernement fédéral pour enquêter sur la provenance de la collection Gurlitt, a confirmé pour sa part qu’elle poursuivrait sa tâche : « l’accord conclu entre Cornelius Gurlitt, le Land de Bavière et la fédération lie également ses héritiers », a-t-elle affirmé.
La Bavière est par ailleurs revenue sur le devant de la scène puisqu’il revient au tribunal de Munich de gérer la succession. Autre prérogative du Land, le ministère de la Justice de Bavière passera la collection Gurlitt au crible de la loi de protection des biens culturels allemands. Certaines œuvres pourraient être incluses sur la liste des trésors nationaux allemands, ce qui interdirait l’exportation de celles-ci vers la Suisse. La collection pourrait ainsi être réduite comme une peau de chagrin. Enfin, dernier développement en date, Ekkeheart Gurlitt, petit-neveu de Cornelius, a annoncé envisager de contester le testament.
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L’héritage de Cornelius Gurlitt sème le trouble
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : L’héritage de Cornelius Gurlitt sème le trouble