BERLIN (ALLEMAGNE) [24.11.14] - Un accord passé entre l’Etat fédéral allemand, le Land de Bavière et le musée prévoit que les œuvres potentiellement spoliées restent en Allemagne. Le gouvernement allemand s’engage à restituer inconditionnellement les œuvres aux ayants droit dans les cas de spoliation avérée. Mais une cousine du collectionneur allemand vient bouleverser la donne en contestant la validité du testament.
Le 24 novembre, le Musée des Beaux-arts de Berne a annoncé sa décision d’accepter l’héritage de Cornelius Gurlitt. Cette décision n’a pas été facile à prendre, précise Christoph Schäublin, Président du Conseil de la fondation du musée : « nous n’en avons conçu aucun sentiment de triomphalisme. En tout état de cause, un tel sentiment eût été totalement déplacé au regard de l’histoire qui pèse sur la collection ». Un accord conclu entre le gouvernement fédéral allemand, le Land de Bavière, et la fondation du musée précise les suites à donner concernant la collection Gurlitt.
A la surprise générale, y compris du musée lui-même, le collectionneur allemand, décédé le 6 mai dernier, avait désigné le Musée des Beaux-arts de Berne légataire universel de ses biens. Le musée avait un délai de six mois pour prendre une décision quant à l’acceptation de l’héritage. La collection, qui comprend entre autre des œuvres de Picasso, Chagall, Matisse, Beckmann, compterait environ un tiers d’œuvres dont la provenance est suspicieuse : il pourrait s’agir de biens spoliés par les nazis à des familles juives. Un autre tiers proviendrait de « l’art dégénéré », ces œuvres saisies par les nazis en 1937 dans les musées allemands.
Après avoir longuement examiné les implications juridiques et morales de cet héritage, le Musée des Beaux-arts a donc finalement décidé de l’accepter. Au début du mois, le Président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, avait averti le musée de Berne qu’il s’exposait à une « avalanche de procès » concernant des demandes de restitution. Aussi, si le musée accepte l’héritage, il refuse toutefois de s’encombrer de biens potentiellement spoliés à des familles juives. « Les œuvres d’art volées et celles qui sont suspectées de l’avoir été resteront en Allemagne », précise Christophe Schäublin, ajoutant que le musée s’engageait à un strict respect de la Déclaration de Washington. La recherche sur la provenance des œuvres incombera toujours à la taskforce de Magdebourg. Le musée n’accueillera donc que les œuvres dont la provenance est élucidée et irréprochable. L’état fédéral allemand s’engage également à prendre en charge tous les frais de justice liés aux demandes de restitution de biens spoliés. « Nous restituerons aux ayants-droit, sans condition ni restriction, toutes les œuvres de la succession qui s’avèreront avoir fait l’objet d’une spoliation par le régime nazi », a déclaré Monika Grütters, ministre fédérale de la Culture, à l’occasion de la signature de la convention. L’accord « est aussi pour nous un moyen d’assumer notre responsabilité historique en donnant la plus grande transparence à la recherche sur la provenance des œuvres », a-t-elle ajouté. Aussi, dès le 24 novembre seront mis en ligne les livres de compte de Cornelius Gurlitt, dans le respect du droit de la vie privée, c’est-à-dire que les noms seront noircis. Par ailleurs, les œuvres dont la provenance n’aura pu être établie avec certitude feront l’objet d’expositions en Allemagne, afin que les ayants-droit puissent se manifester. Si en 2020, aucun ayant-droit ne s’est présenté, il reviendra au musée de prendre la décision d’accepter ou non ces œuvres.
A ce jour, 499 œuvres d’art figurent dans la base de données Lostart.de. La taskforce de Magdebourg mise en place par le gouvernement allemand en avril dernier disposait d’un an pour accomplir cette tâche, mais n’a rendu jusqu’ici que trois recommandations de restitution. La taskforce préconise notamment la restitution d’une œuvre de Matisse, Femme assise, aux héritiers de Paul Rosenberg, parmi lesquels figure Anne Sinclair. Monika Grütters a précisé que la signature de l’accord lève tous les obstacles juridiques à la restitution de ces trois œuvres, qui n’est donc plus qu’une formalité. La taskforce intégrera par ailleurs le Centre allemand des biens culturels spoliés qui sera créé à Magdebourg d’ici la fin de l’année.
Les œuvres « d’art dégénéré » rejoindront quant à elles la Suisse. Mais, et c’est sans doute le revers de la médaille de confier la responsabilité des restitutions à l’Allemagne, le musée de Berne s’engage à accepter les demandes de prêt des musées allemands dans lesquels ces biens ont été saisis. Le nombre d’œuvres qui franchira effectivement la frontière suisse pourrait donc se réduire comme une peau de chagrin, au fur et à mesure des investigations de la taskforce de Magdebourg et des demandes de prêt des musées allemands. Mais il ne faut pas oublier que le Musée de Berne est légataire universel des biens de Cornelius Gurlitt, qui comprend outre la collection d’art, un compte bancaire bien garni, ainsi que des biens immobiliers.
L’Allemagne et la Bavière avaient été vivement critiquées pour la gestion de l’affaire Gurlitt en raison du manque de transparence et de la lenteur des procédures. L’accord passé avec le musée de Berne et la création du centre de recherche sur les biens spoliés étaient l’occasion de reprendre la main sur l’affaire. Mais les longues négociations qui ont abouti à l’accord risquent cependant de voler en éclat en raison de la volonté d’une cousine de Cornelius Gurlitt de contester la validité du testament. L’agence de presse DPA avait dévoilé la semaine passée l’existence d’une expertise psychiatrique attestant que Cornelius Gurlitt n’était pas en possession de son libre arbitre lorsqu’il a rédigé son testament. « Lors de l’élaboration de son testament le 09/01/14, Cornelius Gurlitt souffrait de démence légère, d’un trouble de la personnalité schizoïde et de paranoïa », concluait le rapport d’expertise mené par le psychiatre Helmut Hausner. Le tribunal de Munich en charge de la succession connaissait l’existence de cette expertise, mais n’avait aucune obligation juridique de remettre en cause le testament tant que la famille ne se manifestait pas. C’est maintenant chose faite. Les deux parents les plus proches de Cornelius Gurlitt sont Dietrich Gurlitt et sa sœur Uta Werner, respectivement âgés de 95 et 86 ans. Cette dernière a déposé le 21 novembre auprès du tribunal de Munich une demande de certificat d’hérédité, ce qui contraindra le tribunal à se pencher sur la validité du testament. Dietrich Gurlitt, quant à lui, s’est distancié de la démarche de sa sœur, en affirmant que Cornelius Gurlitt « était tellement outré de la saisie de ses tableaux qu’il n’a pas choisi un musée allemand. Ce n’est pas paranoïaque, mais cohérent et compréhensible ».
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Le musée de Berne accepte l’héritage Gurlitt, une cousine conteste le testament
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Abonnez-vous dès 1 €Signature de l'accord sur l'héritage de Gurlitt. De gauche à droite : Christoph Schäublin, président du conseil de la Fondation du Musée des beaux-arts de Berne; Monika Grütters, ministre de la Culture allemand et Winfried Bausback, ministre de la Justice du Land de Bavière - 24 novembre 2014 © photo Isabelle Spicer pour LeJournaldesArts.fr