SAINT-PÉTERSBOURG / RUSSIE
Le déni de réalité s’est encore imposé lors du 7e Forum de la culture russe, où l’art contemporain est banni et les artistes ultra-conservateurs glorifiés. Seul le milieu des affaires semble faire preuve d’ouverture.
Saint-Pétersbourg. Tout va pour le mieux dans la culture russe, si l’on en croit les discours entendus durant le 7e Forum de la culture russe, qui s’est tenu le mois dernier dans l’intimidant quartier général de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Parmi les 45 tables rondes proposées aux décideurs du monde culturel, le mot « problème » n’apparaît qu’une seule fois. L’art contemporain, aux abonnés absents, est désormais remplacé par « art actuel », dénomination choisie par le ministère de la Culture pour marquer son dédain à l’égard de ce qu’il voit comme un phénomène étranger.
L’annonce la plus attendue au cours du Forum concernait la sélection des artistes sélectionnés pour le pavillon russe de la Biennale de Venise, qui débute dans moins de six mois. Las, aucun nom n’a été dévoilé. Entre-temps, on a appris que le responsable du pavillon Semyon Mikhailovsky a invité le directeur de l’Ermitage Mikhaïl Piotrovski à jouer un rôle central (ce dernier refuse de commenter cette information) et que l’Ermitage lui-même sera un thème du pavillon (ce qui semble très en décalage avec le concept de biennale). Les artistes ultra-conservateurs Alexey Beliayev-Guintovt et Mikhail Rozanov feraient partie des sélectionnés, ce qui en a conduit certains à claquer la porte du processus de sélection.
Mais point de controverse durant le forum, malgré la diminution constante du budget alloué par l’État à la culture et des dépenses le plus souvent détournées vers la glorification de l’histoire militaire russe. Alors que les agressions contre les galeries, les artistes et même les œuvres d’art classiques se banalisent et que l’enfant terrible du théâtre et du cinéma russe Kirill Serebrennikov est en résidence surveillée depuis un an et demi et qu’il risque dix ans de prison.
Le Forum de la culture glisse d’année en année vers davantage d’autocélébration, mais tous les participants ne sont pas venus à Saint-Pétersbourg pour se limiter à des postures déclaratoires. Toujours désireux d’intégration globale, le milieu des affaires fait preuve d’un intérêt croissant et la manifestation a été l’occasion de mesurer les progrès du mécénat. Le panel consacré aux fonds de dotation a été l’occasion de constater les progrès effectués depuis leur essor – quasi simultané en France et en Russie – il y a dix ans. Oksana Oracheva, directrice générale du Fonds Potanine (connu en France pour sa participation au legs « Kollektsia » il y a deux ans au Centre Pompidou), a invité plusieurs représentants européens pour partager les expériences. Zelfira Tregoulova, directrice de la Galerie Tretiakov, s’est dit intéressée par ce mécanisme de financement déjà mis en place à l’Ermitage et dans d’autres institutions culturelles privées ou publiques. C’est grâce à son fonds de dotation (largement alimenté par le milliardaire Vladimir Potanine) que l’Ermitage a pu s’offrir en juin une œuvre de l’artiste contemporain Anselm Kiefer (750 000 euros, du jamais vu) pour laquelle l’État russe n’a pas dépensé un kopeck.
Intervenant dans la table ronde consacrée aux fonds de dotation, Yann le Touher directeur des relations avec les partenaires et les mécènes du Louvre, a vanté les bénéfices de ce mécanisme financier pour les institutions publiques, notant que le Louvre en fut l’initiateur en France. Plus tard, il confiait au Journal des Arts s’être aussi déplacé à Saint-Pétersbourg dans le but d’établir des contacts avec des mécènes russes. « Un partenariat avec le Musée Pouchkine nous a permis d’entrer en contact avec des donateurs potentiels, mais rien ne s’est concrétisé jusqu’ici. Nous espérons établir d’autres contacts ici lors des dîners. Il n’est pas évident de convaincre les Russes. Naturellement, ils préfèrent aider dans leur pays », note Le Touher. L’expérience de Kollektsia pourrait faire bouger les choses dans la bonne direction, espère-t-il.
Autre point positif évoqué durant le Forum : la chambre basse du parlement russe a adopté à la mi-novembre une loi sur les allègements fiscaux accordant jusqu’à 30 % de déduction d’impôts aux mécènes. La création contemporaine en aura bien besoin, elle qui vient de perdre le 21 novembre sa dernière représentante au sein du conseil présidentiel pour la Culture et les arts. Olga Sviblova, directrice du Musée d’art multimédia de Moscou n’a pas retrouvé son siège lors du renouvellement de près de la moitié des 55 membres. Le Conseil, qui permet de faire remonter jusqu’au président les doléances du monde culturel, est dominé par des conservateurs, et des gens qui n’ont manifestement aucune envie de contester la ligne officielle.
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À l’est, rien de nouveau
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : À l’est, rien de nouveau