Société

Le Pass Culture au défi du consumérisme

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2018 - 580 mots

PARIS

Éducation. Avec la promesse de restituer des œuvres d’art aux États africains, le Pass culture est l’autre projet culturel ambitieux d’Emmanuel Macron : offrir aux jeunes âgés de 18 ans une application mobile géolocalisée, créditée d’un montant de 500 euros, permettant d’assouvir leur soif de culture en achetant des places de cinéma, de concert, des entrées dans des expositions, des livres, des abonnements à des plateformes de musique, de vidéo, de jeux vidéo…

L’application va être testée auprès de 10 000 volontaires dans cinq départements avant d’être généralisée, l’an prochain ou en 2020, selon les correctifs à apporter. Inspirée du « Bonus cultura » du Premier ministre italien Matteo Renzi, l’initiative bouscule la politique budgétaire française, habituée depuis des lustres à consacrer ses crédits à l’offre culturelle, de manière très sectorisée : musée, cinéma, lecture, musique, spectacle vivant… Elle va maintenant subventionner une demande individuelle qui s’exercerait presque tous azimuts. Le ministère de la Culture s’est donc adjoint une association de préfiguration, qualifiée de « start-up d’État ». Le coût du Pass culture a fait bondir : 400 millions d’euros pour une classe d’âge constituée de 800 000 jeunes. Mais beaucoup d’opérateurs privés devraient offrir gracieusement ou à moindres frais leurs services, réduisant ainsi la contribution de l’État à 20 % de cette somme. Néanmoins, faute d’augmentation du budget du ministère, il faudra quand même déshabiller Pierre pour habiller Pass.

Le contenu du Pass culture et son utilisation restent les enjeux principaux. Belle idée que de faire confiance à la jeunesse, de ne pas vouloir lui imposer des choix. Mais s’adresser globalement et uniformément à une classe d’âge est déjà complexe, une grande partie va continuer ses études alors que l’autre va entrer dans la vie active et tous ne vivent pas dans les mêmes conditions. C’est aussi faire le pari de l’autonomie complète du jeune dans ses choix, alors que, plus encore que tout un chacun, il est marqué par des déterminismes sociofamiliaux, influencé par des effets de mode, une appartenance à des réseaux sociaux et le marketing puissant des acteurs du divertissement. Ses années à l’école n’ont pas toujours forgé en lui désir et connaissance artistiques ainsi qu’un sens critique. Le risque de voir les 500 euros dépensés dans de seuls loisirs était réel. Déjà, deux plafonds de dépense sont instaurés : l’un pour les abonnements numériques (200 €), l’autre pour les achats de biens et services (100 €). Des algorithmes – à surveiller comme toutes ces techniques calculatoires bien opaques – devraient scruter les comportements et, en fonction, recommander au jeune d’autres activités. Si l’on veut vraiment limiter le consumérisme, éviter que le Pass culture aide seulement à payer moins cher des choix préexistants, si l’on veut qu’il éveille véritablement la curiosité culturelle et artistique, qu’il décloisonne les jeunes publics, il faut aller plus loin. Pourquoi ne pas ventiler la dépense des 500 euros en fonction de pratiques : spectacles vivants, expositions, cinéma, lecture, pratiques artistiques, abonnements numériques… Et adapter cette ventilation au lieu de résidence du jeune, puisque l’offre culturelle d’une zone rurale ou d’une agglomération n’est pas celle d’une grande métropole. Ce serait plus directif mais peut-être plus éducatif. Certaines régions ayant mis en place une incitation similaire appliquent déjà une telle répartition. L’État n’a-t-il pas le devoir de s’interroger sur ce qu’il souhaite transmettre à la jeune génération, et ainsi de fixer des objectifs qualitatifs au Pass culture ? En le faisant, le ministère de la Culture, aujourd’hui bien déboussolé sur ses missions, redonnerait du sens à son action.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : Le Pass Culture au défi du consumérisme

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