REAU
Paris Musées organise une exposition au centre de détention de Réau, dont les commissaires, comme les visiteurs, sont des détenus. Une expérience de réinsertion par la culture.
Vincent Gille veut se faire discret : « Ce sont les détenus qui vous parleront de l’exposition. » Si le directeur (*) de la Maison Victor Hugo est à l’initiative de l’événement, accompagné par son collègue du Musée Bourdelle, Jérôme Godeau, les commissaires de « La femme, un regard différent » sont bel et bien les neuf détenus sélectionnés par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Seine-et-Marne.
Après avoir passé les contrôles d’entrée du centre de détention de Réau, reçu un badge de visiteur, franchi plusieurs portes grillagées et grimpé quelques marches anonymes en béton ciré, les journalistes sont accueillis par Xavier, Bouchra, Chantal, Bernadette, Anderson et Karim pour la visite d’une exposition qu’ils ont entièrement conçue.
Au centre pénitentiaire du sud-francilien, installé sur la commune de Réau depuis 2011, cette exposition n’est pas une première. En 2013 puis en 2016, le centre de détention s’était déjà transformé en musée éphémère, accueillant une exposition sur le thème du voyage, puis sur Les Misérables. Des initiatives qui sont à la croisée des ambitions de l’administration pénitentiaire et de la politique culturelle de Paris Musées. D’un côté, un ancien directeur du centre pénitentiaire, Pascal Vion, qui à la construction de l’établissement prévoit une salle sans affectation dont il veut faire « l’annexe du Grand Palais ». De l’autre, l’établissement public parisien qui ne prend pas l’expression « culture pour tous » à la légère et multiplie les initiatives dans les hôpitaux psychiatriques ou les centres pour migrants, afin de rapprocher le musée des publics qui en sont éloignés. Coordonnant ces belles ambitions, le SPIP permet de mener à bien ces projets : le service départemental de probation et d’insertion a, parmi ses missions, celle de l’accès à la culture.
En pénétrant dans la première des trois salles de l’exposition, le visiteur oublie rapidement les grilles et miradors qui entourent le bâtiment. Avec la scénographie et la qualité des 71 œuvres présentées, le fruit du travail des détenus ne dénoterait pas dans les salles d’un musée parisien. Delphine Lévy, présidente de Paris Musées, se dit elle-même « impressionnée par la qualité de l’exposition et des interventions des commissaires ». Car ce sont les détenus qui assurent la visite, avec beaucoup d’aisance, chacun présentant les œuvres de leur choix. Karim détaille les grandes qualités plastiques de la Dame de Brassempouy, une sculpture préhistorique, « la plus émouvante et la plus réelle du paléolithique », précise-t-il. Bouchra s’attarde sur un masque ventral venu de Tanzanie, que les hommes portent pour mimer les douleurs de la grossesse : un objet à même de faire passer un message de respect selon la jeune femme. Bernadette présente avec enthousiasme la salle sur les premières féministes, ces « femmes de caractère », dans lesquelles elle se retrouve : « Petite, on m’avait comparé à Louise Michel ! »
Citant à l’envie Nietzsche ou Stendhal, Xavier semble apprécier l’exercice : « J’allais beaucoup au musée avant ma détention, explique-t-il, mais je n’aurais jamais imaginé le nombre de métiers qu’il faut pour créer une exposition. » Impliqués dans toutes les étapes de la conception, les détenus sont derrière chacune des décisions dont ils découvrent les complexités au fur et à mesure, « même pour un truc très simple, comme choisir les couleurs des murs », relève Xavier. Si les détenus ont joué le jeu, les musées ont fait de même en assurant des prêts d’œuvres de grande valeur. « Il y a des œuvres pour lesquelles je me suis dit… “là, on y va fort !” », se souvient Vincent Gille. Mais à chaque fois, les musées ont ouvert leurs collections avec bienveillance. « La victoire, c’était aussi de faire labelliser la salle comme lieu d’exposition par Musées de France, explique le conservateur, ça nous permet de recevoir des prêts des Musées nationaux. » à l’instar du Musée Picasso, qui a accordé quatre prêts pour l’exposition.
Coordinatrice culturelle du SPIP au centre de Réau, Maud Lahon se félicite du succès de l’exposition, qu’elle considère comme un véritable outil de réinsertion : « Un ancien détenu qui a participé à l’exposition de 2013 a été embauché au Musée Picasso et il se dirige maintenant vers les métiers de la médiation », nous apprend-elle. Le projet permet aussi de redonner confiance en soi aux détenus, ainsi que de rompre leur isolement. Vincent Gille évoque ainsi la fierté des détenus lorsque les œuvres arrivent et que les conservateurs de chaque musée font le déplacement pour leur en faire la présentation. « Je ne connaissais rien du tout aux musées, confie Bouchra, travailler sur l’exposition m’a redonné confiance en moi, surtout pour parler devant les autres. » À chaque visite organisée, ce sont les commissaires détenus qui assurent la médiation avec les visiteurs, détenus eux aussi. « Ça leur plaît beaucoup, sourit Xavier, et ça ouvre aussi des discussions sur les droits des femmes. » Marqué par les inégalités de genre vécues par sa fille, il utilise l’exposition pour faire passer un message d’égalité.
Ouverte aux détenus et aux personnels du centre, ainsi qu’aux habitants de Réau, l’exposition souffre toutefois d’un déficit de visiteurs. « En détention, chaque mouvement est planifié à la minute, explique Maud Lahon, ça complique les visites. »« Il y a plein de détenus qui veulent venir, complète Xavier, mais il y a des lourdeurs administratives… » Reconnu comme un droit en détention depuis 2009, l’accès à la culture pour les détenus reste confronté, malgré tous ces efforts, aux réalités du milieu carcéral.
Contrairement à ce que nous avions écrit, Vincent Gille est conservateur et commissaire des expositions de la Maison Victor Hugo, et non directeur.
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L’art pour tous… même en prison
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°540 du 28 février 2020, avec le titre suivant : L’art pour tous… même en prison