François Lochon, le patron de Gamma et Rapho, ne mâche pas ses mots pour qualifier les photographes de presse français.
Gamma a 50 ans. Le 14 novembre 1966, Hubert Henrotte, Hugues Vassal, Léonard de Raemy et Raymond Depardon signaient les statuts constitutifs de l’agence photographique qu’ils détenaient à parts égales. En avril 1967, Gilles Caron rejoignait l’entreprise en rachetant la part de Léonard de Raemy. Gamma a aujourd’hui profondément changé après avoir été dans les années 1970, avec Sygma et Sypa, l’une des trois « majors » du marché. Détenus en partie par le groupe anglais Schroeder Partenaires en 1991, puis par le Groupe Eyedea (Ex Hachette Filipacchi Médias), Gamma, Rapho et le fonds Keystone placés en redressement judiciaire ont été rachetés par François Lochon pour 100 000 euros, en avril 2010. Rachat qui comprend aussi l’important fonds du mensuel Réalités. L’ancien photographe de Gamma, entré à l’agence en 1974, en est devenu le propriétaire et directeur après avoir été un de ses actionnaires et l’avoir dirigée à partir de 1993, puis de quitter pour quelque temps ses fonctions. Pour les 50 ans de l’agence, il a initié un ouvrage commémoratif, Une Histoire de Photographes (Éditions de La Martinière).
Pourquoi rachetez-vous en 2010 l’agence Gamma ?
Quand l’agence a été placée en liquidation judiciaire, des photographes m’ont appelé pour me demander de faire quelque chose. Je vivais alors dans le Sud, j’avais deux enfants en bas âge. Je suis venu pour reprendre la maison. J’ai passé ma vie dans cette entreprise. Elle m’a tout donné. Je l’ai redressée. Notre chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros est en constante augmentation. On réalise des bénéfices modestes, que nous réinvestissons dans l’entreprise pour numériser le plus de documents possible.
L’agence des débuts était une agence de production et de diffusion. Elle est devenue une agence d’archives, au même titre que Sygma rachetée par Corbis, puis par Getty via Visual China Group. Est-ce désormais l’avenir ?
Oui, car nos archives sont des documents d’histoire. On ne produit plus, on n’a plus de rédaction, ni de photographes salariés. Ils ont été licenciés au moment de la liquidation, car ce sont les salaires et les frais des photographes qui ont tué l’économie des agences. Certains photographes gagnaient 5 000 euros net par mois et étaient payés sur 15 mois, pour des ventes annuelles de 70 000 euros. Quelle agence peut perdre autant d’argent ? Hachette a payé un certain temps, puis a abandonné.
C’est pour cette raison qu’un grand nombre de photographes ont quitté et/ou retiré leurs archives de l’agence ?
Très peu ont retiré leurs archives, mais je ne pouvais plus salarier de photographes. Nous diffusons des reportages divers que des photographes nous amènent. Nous possédons le fonds d’archives Keystone, une des plus belles collections photo de la planète. Nous récupérons des photos, des fonds que l’on diffuse, mais que l’on n’achète pas. Un merveilleux photographe des années 1960, Yves Manciet, est venu nous voir dans le cadre des 50 ans de l’agence avec ses archives. Les liens d’amitié avec Marianne Caron ont entraîné le retour du formidable travail de Gilles à l’agence. Je ne veux surtout pas garder les négatifs. Cela ne sert à rien du tout. Ce qui compte maintenant, c’est de disposer d’un bon fichier. On les conserve très bien. Il n’y pas grand monde en France capable d’investir les sommes nécessaires pour numériser. Cela coûte cher de numériser : 30 € la photo. Depuis deux ans, je suis considérablement soutenu dans l’achat de matériel par le fonds stratégique de modernisation de la presse du ministère de la Culture.
Quel est le tarif moyen d’une photo aujourd’hui ?
Quand j’ai repris Gamma, le prix moyen était de 90 €, aujourd’hui il est de 80 € et le prix va encore chuter (par comparaison, la moyenne chez Getty est à 50 € la photo, avec parfois des ventes supérieures à 10 000 euros). Le photographe encaisse 40 à 50 % du prix.
Que pensez-vous des propositions de la ministre de la Culture annoncées en septembre 2016, notamment celles appelant à un salaire minimum et demandant aux éditeurs de favoriser le recours aux agences et aux photojournalistes sous peine de voir leur subvention amputée de 30 % ?
Le ministère peut proposer, il demeurera impuissant malgré son extrême bonne volonté, car ce n’est pas un problème de l’État. La paupérisation vient du manque d’adaptabilité des photographes au monde Internet. Ce sont les photographes français qui ont foutu leur métier en l’air. Ils peuvent aller pleurer au ministère, ils se sont suicidés avec leurs prétentions, leurs demandes d’être des salariés, leurs revendications de leurs droits acquis, les accusations de pertes de photos… Plus personne ne veut travailler avec eux d’autant que les photographes étrangers sont très bons. Résultats des courses : avant, Paris était le centre du monde ; aujourd’hui, Getty vend 3 milliards d’euros de photo par an, le marché français 25 millions d’euros seulement !
Comment un photographe peut-il vivre aujourd’hui de ses photos ?
Il peut survivre, mais doit être diversifié dans son activité. Aucun photographe d’actualités ne peut espérer les salaires des années 1970-1990.
Vous avez été photographe. Est-ce un métier que vous pourriez exercer si vous aviez 20 ans aujourd’hui ?
Sans aucun doute, mais en faisant un autre métier à côté. Ce que nous faisions il y a vingt ou trente ans est impossible aujourd’hui. On ne peut exercer le métier de la même façon. J’ai retrouvé des fiches de paie de Gilles Caron. En mai 1968, il gagnait 12 000 francs (NDLR soit 14 318 euros en tenant compte de l’érosion monétaire), ce qui représentait l’achat de trois voitures 4L par mois.
Est-ce que vous regrettez le procès avec la photographe Marie Laure de Decker (voir le JdA n° 436, 22 mai 2015) ?
Ce n’était pas moi qui ai voulu la guerre. Je lui ai tendu la main, lui ai proposé une solution formidable. Elle n’en veut pas. Je lui ai proposé aussi d’être dans le livre. Elle m’a regardé avec dédain, je le regrette, j’aime beaucoup son travail.
Pourquoi le projet de numérisation du fonds de l’agence avec l’aide de la Réunion des musées nationaux en 2010-2011 n’a pas abouti ?
Le projet était sans doute trop ambitieux. Nous ne sommes pas en adéquation commerciale. Je le regrette.
Comment voyez-vous le développement des collectifs de photographes en France ?
Ça va, ça vient, ce sont des clubs Mickey, des clubs de grandes illusions. Tout le monde depuis cinquante ans essaie de copier Gamma sans jamais y parvenir. Il y a de formidables jeunes photographes que je souhaite aider… qu’ils viennent nous voir.
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François Lochon : « Les photographes français ont foutu leur métier en l’air »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°466 du 28 octobre 2016, avec le titre suivant : François Lochon : « Les photographes français ont foutu leur métier en l’air »